© Jean-Louis Fernandez
ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
La faute est le titre qui s’imposait avec évidence pour pointer les responsabilités publiques et privées dans la construction d’un lotissement dans la commune de la Faute-sur-mer, situé dans une cuvette en dessous du niveau de la mer, qui lors du passage de la tristement célèbre tempête Xinthia dans la nuit du 27 février 2010, a été inondée. Des habitants ont été piégés en l’espace d’un quart d’heure dans leurs propres maisons par la montée des eaux, périssant noyés ou d’hypothermie. 29 morts, des maisons ravagées. Un traumatisme ensuite indescriptible, résultat d’une introspection collective ayant au cœur la question de la responsabilité, qui s’est étalée dans le temps long de la justice.
Angélique Clairand et Eric Massé, les co-directeurs du Théâtre Point du jour à Lyon, se saisissent à bras le corps de cette question de la responsabilité, en menant l’enquête au sens propre – le texte de François Hien a été largement construit à partir de témoignages recueillis sur place, sachant que les parents d’Angélique Clairand elle-même furent concernés par le drame – et sur scène. La dramaturgie repose sur un temps assez long, de l’avant à l’après en passant par la catastrophe elle-même.
Ainsi, suivant une trame très narrative, on passe de l’achat de maisons dans le lotissement, aux interrogations d’un couple devenant de véritables lanceurs d’alerte, à la tempête, la constitution de l’association (l’Avif) puis au procès.
Le décor est à la fois réaliste et allégorique. Beaucoup d’idées qui n’ont toutefois pas toutes la même force symbolique : une façade en contreplaqué blanc symbolise les habitations, dont des morceaux sont peu à peu retirés pour faire apparaître la laine de verre au fur et à mesure du délitement de la situation ; des couvertures de survie recouvrent les survivants ; des panneaux souples et blancs flottent depuis les cintres, manipulés par des machinistes en coulisses pour donner la couleur et l’esprit à chaque scène, en particulier celle de la tempête – qui n’a pas l’efficacité de la scène de naufrage du Costa dans Révérence, aimé dans le Off 2021 d’Avignon ; dans un bac rempli d’eau des maisons en plastique blancs flottent.
Avec une distribution assez réduite, les metteurs en scène sont parvenus à représenter des dizaines de personnages, non seulement en faisant jouer plusieurs rôles à chacun par des changements extrêmement rapides de vêtements ou d’accessoires, mais également en faisant jouer l’une des figures principales de la tragédie, le maire, par plusieurs comédiens tout au long de la pièce. Ces derniers se déplacent beaucoup, y compris dans la salle, en particulier pour la scène avec la représentante de l’Etat qui est interpellée par les habitants-comédiens qui se sont glissés dans le public. On pense, dans une situation inversée, à la fameuse scène d’Un ennemi du peuple d’Ibsen dans laquelle seul contre tous Tomas Stockman est invectivé par le faux public. D’ailleurs, il y a des parentés possibles avec cette pièce du dramaturge norvégien imaginant un lanceur d’alerte d’avant-garde, confronté à la puissance des pouvoirs publics.
Point de procès chez Ibsen ni de moralité puisque les responsables ne sont pas sanctionnés à la différence de La faute qui respecte l’essentiel des événements réels – en ajoutant simplement des personnages et des scènes fictives et en modifiant les noms des personnages publics – notamment quelques étapes du procès, mettant ainsi bien en valeur le rapport au temps long de la justice, qui n’épargne ni ses travers ou son simple fonctionnement, y compris la question taboue des frais pour la défense des intérêts individuels et collectifs (le portrait de l’avocate d’une partie des victimes – qui n’était autre que Corinne Lepage dans le vrai procès – notamment), et épuise les hommes et les bonnes volontés conduisant à des déchirements bien compréhensibles – rester / partir / être indemnisé… La condamnation à une peine de prison ferme pour le maire vient servir d’épilogue commode à un système qui mêlait les responsabilités publiques – règles d’urbanisme changeantes dans une zone inondable – et privées – la cupidité des promoteurs immobiliers.
La faute appartient résolument à la catégorie du théâtre documentaire, dont l’objet ou les sujets permettent de dénoncer des scandales qui n’ont choqué l’opinion publique que dans le temps court de leur médiatisation. La faute est un spectacle citoyen. Puisse-t-il contribuer non seulement à une mémoire plus large et lucide sur ces événements, mais surtout constituer une matière à penser pour l’avenir. Le théâtre a cette capacité d’agir en profondeur dans les consciences individuelles.
© Jean-Louis Fernandez
La faute, de François Hien
Scénographie, Jane Joyet
Création lumière, Juliette Romens
Création son, Nicolas Lespagnol-Rizzi
Costumes Laura Garnier
Régie générale Clémentine Pradier et Bastien Pétillard
Collaboration à la mise en scène, Héloïse Gaubert et Hervé Dartiguelongue.
Construction et conception décors : Didier Raymond.
Avec : Gilles Chabrier, Angélique Clairand, Ivan Hérisson, Nicole Mersey Ortega, Samira Sedira
Durée 2 h 15
Création au Théâtre du Point du Jour le 30 septembre 2021.
Jusqu’au 11 octobre 2021
Tournée prévue en 2022
Théâtre Point du jour
7 rue des Aqueducs – 69005 Lyon
www.pointdujourtheatre.fr
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