Critique de Camille Hazard –
Au-delà des apparences !
Dans presque toutes les pièces de Marivaux, le contenu est “simple”, il se résume à un « Je vous aime » romanesque qui cache en réalité tout un monde d’hypocrisie, de mensonges, d’orgueil, de minauderie… Dans La fausse suivante, pièce écrite en 1724, c’est l’inverse : le protagoniste cherche à ne plus se faire aimer.
© Pascal Gély
Une jeune demoiselle de Paris se travestit afin de connaître les sentiments amoureux d’un gentilhomme à qui elle est promise. Dans les confidences de celui-ci, elle s’aperçoit que la dot qu’il doit recevoir sera l’unique argument de décision. Frontin : « La Comtesse ne me rapportera que six milles livres de rente alors que la demoiselle de Paris m’en rapportera douze milles, le cœur peut-il résister devant un calcul aussi simple ! » – « Il y a bien des amours où le cœur n’a point de part ; il y en a plus de ceux-là que d’autres, et dans le fond c’est sur eux que roule la nature, et non sur nos délicatesses de sentiment qui ne lui servent de rien » Marivaux.
On retrouve dans cette pièce, les éléments chers à Marivaux : le travestissement, le pouvoir, les intrigues mais surtout l’argent…On ne retrouve pas l’importance des relations maîtres-valets que l’auteur dénonce aisément dans L’île des esclaves par exemple. Ici, il s’agit uniquement d’argent. À cette époque Marivaux était tombé follement amoureux d’une jeune première. Hélas, il se rendit compte qu’elle passait son temps à travailler ses petits gestes de tête, ses délicats sourires devant un miroir…Pour lui, l’amour ne pouvait plus être sincère, naturel, il fallait que celui-ci cache quelque chose pour arriver à quelque fin. Toute l’intrigue de la pièce se concentre là-dessus.
La vénalité des offices
© Pascal Gély
Lambert Wilson l’a bien compris et a axé sa mise en scène sur les conséquences de cet amour irrationnel pour l’argent. Les calculs financiers et mesquins surpassant de loin l’amour, l’honneur et la dignité (Frontin) ; la trahison, le manque de parole, les secrets dévoilés (Trivelin) ; l’avidité menant à la folie (Arlequin) ; l’univers solitaire, isolé, en dehors de toute réalité (la mère de la comtesse). Il a également choisi de transposer l’époque dans le milieu bourgeois anglais des années 1920 : « les années folles », dues au boom économique après la 1ére guerre mondiale ; insouciance, fêtes luxueuses, naissance du « jazz age », libération des mœurs dans la classe bourgeoise…La scénographie est simple mais suffisante : un banc à l’avant scène où se déroulent les dialogues et les intrigues. Derrière et jusqu’au fond du plateau, de hauts voiles mobiles et transparents, agrémentés de motifs d’oiseaux et d’arbres laissent entrevoir des actions parallèles menées par des personnages qui jouent au badminton, se promènent, épient les conversations…La profondeur de champs qui permet ces petites actions soulignant l’intrigue est un régal ! Un arbre mort trône sur la gauche rappelant ainsi la condition bourgeoise de certains personnages : secs, morts, seuls mais fiers ! Le jeu des comédiens est parfaitement tenu. Francis Leplay dans le rôle de Trivelin est remarquable, il donne vie à toutes ses répliques avec un humour et un détachement délicieux. Il y a un vrai jeu de théâtre, ample généreux et très dynamique. Anne Brochet passe du rôle du Chevalier à celui de la jeune demoiselle avec aisance et finesse, parfois, quelques gestes féminins viennent trahir sa posture masculine, l’alimentant ainsi avec réalisme. La comédienne Anne Queensberry qui interprète la mère de la Comtesse donne l’impression de sortir tout droit d’une pièce de Ionesco, ajoutant beaucoup d’humour aux situations sans presque jamais ouvrir la bouche ! Le seul élément qui ternit un peu le spectacle est la chanson de la fin. À l’époque de Marivaux, deux pièces étaient représentées dans une même soirée et une chanson interprétée par les comédiens faisait office d’entracte. La chanson avait donc un rôle précis. Tous les personnages à la fin se retrouvent sur scène, habillés avec des vestes ornées de pièces cousues. S’ensuit alors une chanson dans un style « cabaret » : l’ambiance est joyeuse, fraternelle mais le message de l’auteur et du metteur en scène tombe un peu dans l’oubli, on a l’impression que les propos du texte sont relativisés et que le plus important c’est de s’être diverti.
Mais ce n’est qu’une chanson, et la pièce dans son ensemble n’en souffre pas ! C’est un beau spectacle, mené avec finesse et où les propos sont hélas toujours d’actualité !
La Fausse Suivante
De : Marivaux
Mise en scène : Lambert Wilson
Avec : Anne Brochet, Christine Brücher, Eric Guérin, Pierre Laplace, Francis Leplay, Fabrice Michel, Ann Queensberry
Collaboration artistique : Cécile Guillemot
Scénographie : Sylvie Olivé
Lumière : Françoise Michel
Costumes : Olivier Bériot
Direction vocale, arrangements, chanson originale : Pierre-Michel Sivadier
Chorégraphie : Laurence Fanon
Coiffure et maquillage : Ghislaine Tortereau
Régie générale : Rodrigue Montebran
Régie lumière : Gérard CaldasDu 6 avril au 15 mai 2010
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis rue de la Chapelle, 75 010 Paris
www.bouffesdunord.com