© Aglaé Bory
ƒƒ article de Denis Sanglard
Un homme dans un appartement à Ostende. Seul, réduit à l’immobilité, il se souvient. L’attentat. La déflagration. Devant la fenêtre qui donne sur la mer, l’observation du paysage est une étrange méditation où les souvenirs en lambeaux affluent, le paysage se métamorphose ; la mer, Tokyo, le café Métropole de Bruxelles… Pensée flottante qui peu à peu se sédimente dans l’obsession d’une image qui le hante. Mais bientôt devant la fenêtre un chantier édifie un haut mur qui lentement envahit l’espace de la fenêtre, obscurcit la vue et la chambre. L’homme est bientôt enfermé, coupé du monde. La pensée s’amenuise. La déflagration revient. Cette fenêtre n’est -elle pas la dernière image, la dernière pensée, l’ultime souvenir de cet homme à l’instant de mourir dans cet attentat ? Un paysage intérieur, le dernier à l’instant où tout se fige ? La disparition du paysage c’est ce moment de sidération où la mort entre par effraction soudaine, brutalement, où la vie s’exprime dans un dernier cri, une dernière vision « à peine saisie déjà passée », avant de basculer dans le néant.
Elle est là cette fenêtre, qui occupe tout le fond de la scène. Derrière, un épais brouillard sur lequel sans doute se projettent les pensées de cet homme au débit étrangement calme, Denis Podalydès. A moins que ce ne soit celui provoqué par l’explosion. Ou peut-être l’état de conscience de celui qui parle. Aurélien Bory signe une scénographie singulière, une formidable machine théâtrale, évoquant les dioramas, et qui participe de cette mise en scène délicate et sensible, extrêmement dense, au plus près du texte de Philippe Toussaint. Cette fenêtre au cadre mouvant, comme un obturateur d’appareil photographique qui lentement se ferme ou s’ouvre au fil du récit, c’est un espace mental au contenu toujours flou duquel surgit des images incertaines et fragiles, volatiles, et qui comme le paysage s’effaçant, inexorablement s’évapore et disparaît, condamne cet homme subitement conscient de sa mort. Formidable dispositif qui joue de la temporalité et de l’espace, des perspectives, de la lumière même, et diffracte le temps et la conscience tout à coup accordés et comme étrangement suspendus à l’instant de la déflagration. A vrai dire il n’y a que le vide derrière cette fenêtre que comble une pensée confuse, celle du personnage, et la nôtre aussi, sollicitée par le texte énoncé. Et puis il y a Denis Podalydès. Son intelligence toujours dans l’appréhension des textes approchés. Ici, un jeu tout en retenu, introspectif, attentif, sans effet et sans pathos aucun. Personnage enclos dans une pensée, une interrogation têtue et inquiète jusqu’à la révélation dramatique qui apaise enfin. En osmose totale avec cette écriture blanche de Jean-Philippe Toussaint, objective et si précise, sans être écrasé par cette scénographie originale qui l’accompagne épousant le fil tendu de sa pensée.
© Aglaé Bory
La disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint
Mise en scène : d’Aurélien Bory
Avec : Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie-Française
Lumières : Arno Veyrat
Musique : Joan Cambon
Co-scénographie : Pierre Dequive
Costumes : Manuela Agnesini
Collaborateur artistique et technique : Stéphane Chipeaux-Dardé
Du 18 au 27 novembre 2021
Du mardi au samedi à 20 h 30
Samedi 20 et 27 à 15 h 30 et 19 h
Dimanche 21 à 16 h et 20 h
Théâtre des Bouffes du Nord
37bis boulevard de la Chapelle
75010 Paris
Réservations 01 46 07 34 50
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