© Vincent Pontet
f article de Denis Sanglard
Don Juan jadis négociât avec le diable, obtenant un sursis. Dix ans plus tard, dans son palais vénitien, un marionnettiste se présente qui lui fait représentation des scènes en résonnance avec sa vie. Ce montreur de marionnettes qui n’est rien d’autre que le diable, se démasquant très vite, entame une joute oratoire avec Don Juan auquel il démontre l’échec de sa vie de libertin. Don Juan ne vaut pas mieux que Polichinelle. Sont convoquées les femmes de sa vie, mille et trois dont il a oublié les noms, les visages, qui toutes lui font comprendre qu’il n’était qu’un jouet entre leurs mains. Puis vient l’Ombre blanche qui, les représentant toutes, tente une dernière fois de sauver l’âme de Don Juan, le mettant face à ses contradictions, l’obligeant à reconnaître sa fatuité et le mensonge de sa vie qui ne fut que néant. Le fantôme du pauvre apparaissant lui jette son louis d’or à la figure dénonçant l’hypocrisie de ce geste et les conditions de ce don. Le masque tombe, vaincu, à bout d’arguments, Don Juan indigne des Enfers est envoyé dans le castelet du Diable, métamorphosé en marionnette.
Pièce inachevée d’Edmont Rostand, mort de la grippe espagnole sans l’avoir terminée, et dont les fragments sont réunis ici et adaptés pour sa mise en scène par Maryse Estier, c’est une curiosité qu’il faut entendre où l’auteur de Cyrano écorne vilainement le mythe de Don Juan. Aux héros positifs de ses pièces précédentes il oppose un personnage aux antipodes de ces derniers. Pièce complexe par son propos, pessimiste et noire sur la nature humaine, sur la masculinité dont il déconstruit les clichés masculinistes, où le libertinage au sens philosophique est dénoncé quand réduit à sa plus grande et simpliste trivialité, c’est, et sans doute pour la première fois dans son œuvre, envers les femmes que se tourne son regard. L’Ombre blanche est d’une modernité étonnante au regard de l’époque. Loin d’être victime mais maîtresse de son destin – comme toutes les autres – qui ne complait aux hommes que par jeu, et pur plaisir, loin d’être dupe de ce qu’ils représentent et de ce qu’ils veulent obtenir, au risque consenti de souffrir. Don Juan fut le polichinelle de cette farce cruelle. Sans doute que le personnage principal c’est elle, l’Ombre blanche.
Et c’est également pour celle qui l’incarne qu’il faut y aller. La jeune Edith Proust, tutu de gaze blanc et escarpins vertigineux, est simplement de la race des grandes comédiennes tant elle s’impose avec un talent monstre et confondant et que l’on a hâte de découvrir dans un autre répertoire. Elle arrive par sa présence, son jeu naturel et d’une grande clarté dans les nuances à nous faire oublier cette mise en scène artificielle et littérale, sans aspérité ni profondeur, sans mystère aucun, étrangement vieillotte et datée au vu de la jeunesse de la metteuse en scène. Du théâtre comme on n’en fait plus et ce n’est pas quelques smartphones sur une fresque du 17éme siècle qui la rende plus moderne. Les traits et l’incarnation de ses partenaires sont forcés, on déclame (et fort) plus qu’on ne dit, le texte riche et complexe en devient parfois inaudible. Les corps sont agités plus qu’habités… Tout cela sonne malheureusement faux, reste en surface, à l’exception donc d’Edith Proust, véritable miraculée dans cette affaire. Et un regret, mais Edmond Rostand par sa mort prématurée en est le seul fautif, le rôle de Sganarelle réduit à la portion congrue. Ce qu’ébauche ici Bakary Sangaré avec son talent coutumier et généreux était une belle promesse.
© Vincent Pontet
La dernière nuit de Don Juan, d’après Edmond Rostand
Adaptation et mise en scène de Maryse Estier
Scénographie et lumières : Lucien Valle
Costumes : Annaëlle Misman
Musique originale et son : John Kaced
Marionnettes : Adèle Collé
Effets magiques : Nikolai Striebel et Thomas Guéné
Avec Bakary Sangaré, Baptiste Chabauty, Jordan Rezgui, Edith Proust
Voix des Mille et trois ombres : Françoise Gillard, Anna Cervinka, Danièle Lebrun
Et Léna Tournier Bernard de l’académie de la Comédie- Française
Du 25 mai au 7 juillet 2024
Du mercredi au dimanche à 18h30
Relâche les lundis et mardis
Durée 1h
Studio-Théâtre de La Comédie-Française
99 rue de Rivoli
Galerie du Carrousel du Louvre
75001 Paris
Réservations : www.comedie-française.fr
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