© Morgan Le Naour
ƒƒƒ article de Marguerite Papazoglou
Là, un titre tout simple, minime, à la sonorité aussi éclatante que grave, un titre qui nécessite lui-même un écrin, un petit moment de silence et d’attention avant de le prononcer, pour en protéger la fragilité ; ici et maintenant, l’immédiateté et la présence sous forme de question infinie. Telle serait la tonalité du spectacle et le questionnement duquel Pol Pi, absent à l’heure du début du spectacle, nous fait partir… « Où est-il ? » et « quand est-ce-que ça va commencer ? » seraient les prémisses qui permettent de s’ouvrir à la richesse du là. L’écrin est posé dans la cale de la péniche Pop amarée sur le bassin de la Villette. Là, littéralement à rebours d’une pièce qui s’attache à convoquer sur scène l’ailleurs et l’avant.
Comme dans ses précédentes pièces, Ecce (H)omo et Alexandre, remarquées à juste titre, Pol Pi chorégraphie en rapport à un matériau antérieur — rapport à une archive, à un absent, à l’histoire, à un ailleurs, à un autre corps — dans une nécessité de s’inscrire dans l’histoire et la géographie du monde. Avec Là, il s’agit d’aller à la rencontre d’un quartier et d’en rendre compte, y écouter au sens propre la vie, sans l’utiliser, sans la folkloriser ni l’exhiber — ce qui serait prendre le contrôle de la parole — en laissant émerger une danse singulière à partir de ce que l’environnement, qu’il a choisi sonore, lui donne. Le dispositif est basé sur une torsion de l’espace et du temps : Pol a parcouru, a marché, a entendu, a respiré, a déplacé, a heurté, etc. Il est arrivé sur scène et un enregistrement commence à jouer ; ce qui se révélera comme passé est recueilli dans le présent et ce qui était ailleurs est maintenant là. Entre cet observateur-acteur et le monde, dans le silence et la protection de la scène, peut s’ouvrir un espace de porosité autant que de collision, de suspension et d’interrogation. Laisser la place pour se transformer, c’est d’abord dans son propre corps que cela se fait ; le devenir autre passe par la création d’un vide. C’est donc par du rien que cela commence, ce qui n’est pas rien. Car le rien est appel violent et nous sommes saisis d’un trouble persistant devant ce corps nu, debout, avec la mystérieuse sensation qu’il est offert. Vulnérabilité non ostentatoire d’un corps en état d’écoute. Est-ce à cause de sa particularité d’être en transformation de genre qu’il nous interpelle tant ? Comme semant le vacillement dans les positions figées et dans notre propre sentiment de nous-mêmes ? Accueillir l’autre serait se rendre sensible au changement infime, écouter est accueillir le son. Dans son casque, Pol écoute la voix du quartier : une bande son créée par Gilles Amalvi, 4473 pas décomptés à rebours jusqu’à une arrivée qui fut un début.
Marcher comme point central et générateur du rapport entre un corps et la ville et comme obsession lancinante de la bande-son. Des sons et des voix qui passent, attrapés sur des lieux de circulation, mais aussi des sons plus immobiles de lieux circonscrits, jeux et arbres des Buttes Chaumont, messe orthodoxe, voix des sanisettes. A ce paysage sonore de l’extérieur retransmis dans le ventre de la péniche viennent se mêler les sons sourds de l’intérieur du corps, captés par un micro par Pol lui-même, comme offrant cette obscurité à la lumière en l’offrant à nos oreilles. Car si Pol Pi se laisse transformer à vue par les sons, sa présence transforme en retour notre écoute. La ville se fait corps exposant le bruit de ses entrailles et, à mesure que le corps devant nous s’expose s’y exposant, nous entrons en résonnance avec une géographie de l’infime d’un corps paysage. Une danse faite d’esquisses, de nuances de chairs de blancheurs et de rougeurs, de squelette qui tient, craque, se vrille ou se pose, de légères inflexions de la gorge ou de la voix, de fulgurances, de gestes intimes et de cœur qui bat. On se met à le parcourir, ce corps singulier devenu pluriel, y vibrant dans ses tensions, y croisant les images venues du chemin, de juste avant ou d’ailleurs, cette surface où le rapport se fait et se donne à la fois. Pol Pi nous fait entrer dans ses pas, dans ses oreilles, dans ses fantômes, dans sa bouche, dans son cœur, dans son sexe, dans cette péniche alcôve et dans les cris de cette ville… sans trop nous laisser le choix d’être ailleurs que là. Etre là et cheminer.
Là, de Pol Pi
Conception et interprétation Pol Pi
Création sonore Gilles Amalvi
Créatrice lumière Rima Ben Brahim
Du 28 au 30 mars à 19h30
Durée 50 minutes
La Pop, incubateur artistique et citoyen, Printemps#4
Adresse physique de la péniche La Pop :
Face au 61 quai de la Seine
75019 Paris
Réservation 01 53 35 07 77
www.lapop.fr
Tournée
Le 12 mai 2019 à 19h30
Ecce (H)omo
Antistatic Festival – Sofia, Bulgarie
Space for Contemporary Dance and Performance
1 Bulgaria Square, National Palace of Culture
www.antistaticfestival.org
Le 11 juin 2019 à 20h30
Me Too, Galatée
Aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis
Conservatoire Nina Simone – Romainville
179 avenue du Président Wilson
93230 Romainville
Réservation 01 55 82 08 01
www.rencontreschoregraphiques.com
Le 14 juin 2019 à 20h
Alexandre
Festival Latitudes Contemporaines – Lille
Maison Folie Wazemmes
70 Rue des Sarrazins
59000 Lille
Réservation 09 54 68 69 04
www.latitudescontemporaines.com
Le 16 juin 2019
Alexandre
Festival Uzes Danse
La Maison CDCN Uzès – Gard, Occitanie
2 place aux herbes
30700 Uzès
Réservation 04 66 03 15 39
www.lamaison-cdcn.fr
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