Critiques // « La Critique de l’École des Femmes » de Molière à la Comédie Française

« La Critique de l’École des Femmes » de Molière à la Comédie Française

Fév 16, 2011 | Aucun commentaire sur « La Critique de l’École des Femmes » de Molière à la Comédie Française

Critique de Bettina Jacquemin

À part entière

Tréteaux de bois et chaises empilées envahissent la scène du Studio-Théâtre ; un vaste chantier dédié à « La Critique de l’École des femmes » et dirigé par Clément Hervieu-Léger, Pensionnaire de la Comédie-Française. Une mise en scène contemporaine et un réel soucis du détail soutiennent les références à la pièce éponyme. Que ceux pour qui « l’École des femmes » n’est que lointain souvenir se rassurent, le texte de Molière évolue également en toute autonomie. On savoure l’habile adéquation.

© Brigitte Enguerand

Face à la polémique suscitée autour de « L’École des Femmes », Molière choisit de répondre aux objections par une autre pièce, « La Critique de l’École des Femmes ». L’auteur, à qui l’on reproche notamment d’avoir transgressé les règles de la diction tragique, compose un seul acte en prose, une “riposte théâtrale” qu’il donne sur scène en 1663.
 Tous les personnages entrent très tôt en scène pour y rester jusqu’à la fin et abordent une discussion sur une pièce à laquelle ils viennent d’assister, « L’École des Femmes », écrite par un certain Molière… Les arguments évoqués de-ci, de-là, autour de la pièce principale sont repris et décortiqués ; on évoque notamment le non-respect des règles formelles classiques et une certaine immoralité.
 Molière met en scène la querelle entre les partisans et les opposants de « L’École des Femmes » et s’inspire directement de certains de ses contemporains, qui se reconnaissent dans la pièce initiale. Clément Hervieu-Léger s’entoure d’une troupe de comédiens dont l’enthousiasme nous convainc définitivement que la dispute animée est au-delà des critères dénigrés.

Bon sens et bon goût

Quel plaisir de voir entrer sur scène Lysidas, vêtu d’un coupe-vent façon K-Way bleu. Le comédien Christian Hecq assaisonne le personnage qu’il interprète, un penseur de second rang en le dotant d’une allure semblable au fondement de ses arguments. Lysidias sera ridicule sous son manteau de pluie bleu. Le ton est donné, la mise en scène proposée dans la salle située dans la galerie du Carrousel du Louvre étonne, au premier coup d’œil. Très vite, pourtant, y résonne l’esprit propre aux salons d’époque ; critiques acerbes, fausses argumentations et bon sens se répondent tour à tour.

Climène, interprétée par Elsa Lepoivre et le Marquis, joué par Serge Bagdassarian complètent l’ensemble des opposants représentés par Molière. À court d’argument, l’exquise Précieuse multiplie évanouissements et malaises respiratoires. La comédienne issue du Français réussit une entrée sur scène, grandiloquente à souhait, multipliant les “grands effets” à l’écoute des  sous-entendus grossiers, selon elle, répandus par l’auteur. Son compère choisit d’interpréter avec subtilité un Marquis dont le paraître le prive incontestablement de toute finesse d’esprit. Une proposition qui ravit notre œil et nos oreilles.

Malgré l’élan nécessaire à la prise de position en faveur de l’auteur, l’interprétation de Loïc Corbery (Dorante) aurait mérité un degré moindre d’ardeur. La fougue de la jeunesse, la légitimité du combat et l’exaltation intrinsèque que provoque le théâtre justifient un tel enthousiasme mais le contraste est trop réel entre sa fougue et la subtile orientation des opposants.

Les opinions s’affrontent et bientôt la discussion révèle de réelles rivalités (apaisées bientôt par l’appel de la table); les uns, en esprits éclairés pensant qu’ils sont les seuls bons juges, les autres estimant la seule opinion populaire.

En positionnant la scène dans une atmosphère contemporaine (scénographie d’Eric Ruf et costumes de Caroline de Vivaise), Clément Hervieu-Léger oriente notre regard. La scène nous semble actuelle et les quelques extraits de « L’École des Femmes » insérés par le metteur en scène font preuve d’un réel soucis du détail. Ils appuient les propos des personnages et argumentent la polémique sans jamais dérouter. Pas besoin de connaître toutes les références à l’œuvre éponyme, on rit grâce à un ensemble cohérent où la modernité se fond habilement dans une œuvre datant de plus de trois cent ans. Un “chantier” à part entière.

La Critique de l’École des Femmes
De : Molière
Mise en scène : Clément Hervieu-Léger
Avec : Clotilde de Bayser, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Serge Bagdassarian, Christian Hecq, Georgia Scalliet et Jérémy Lopez
Scénographie : Éric Ruf
Lumières : Bertrand Couderc
Costumes : Caroline de Vivaise
Réalisation sonore : Jean-Luc Ristord
Arrangements musicaux : Pascal Sangla

Du 27 janvier au 6 mars 2011

Comédie Française – Studio-Théâtre
Galerie du Carrousel du Louvre, Place de la Pyramide inversée, 99 rue de Rivoli, 75 001 – Réservations 01 44 58 98 58
www.comedie-francaise.fr

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