Critique de Camille Hazard –
Attention aux pompes à bière M’sieurs dames !! Voilà… les toilettes publiques sont juste là… oui… c’est ça, juste derrière la tente et les caisses vides en plastique ! Allons n’ayez pas peur… attendez, nous allons mettre un peu de disco ça va vous détendre… tenez prenez une bière… voilà…
C’est dans cette ambiance fête au village et boule à facettes que nous découvrons la nouvelle mise en scène de Dan Jemmett « La Comédie des Erreurs ».Une pelouse, surmontée d’une estrade, vient s’étendre jusque sous nos pieds, nous conviant familièrement à partager cette soirée loufoque. Si toute l’installation scénique de baraques à bière nous paraît, aux premiers abords, assez malvenue et même de mauvais goût, nous l’oublions rapidement au profit des comédiens. Car ce sont eux qui font en grande partie le spectacle.
© Mario Del Curto
Cette comédie de Shakespeare écrite en 1594 est une perle farcesque ; texte court et parcouru d’un rythme qui ne cesse de s’emballer, jeux de mots, comique de situations, sans oublier les quiproquos qui ponctuent les scènes. La pièce ne repose en aucun cas sur une idée philosophique ou un quelconque ton poétique, non, elle repose sur le divertissement le plus pur. Le canevas de l’intrigue posé, la pièce permet au metteur en scène et aux acteurs de repousser toute limite, de franchir le cap de « Oh non ! C’est trop ! ».
Un naufrage. Quatre frères jumeaux, qui après s’être perdus de vue, sans le savoir, se retrouvent sur la même île, en ignorant leur présence réciproque. Shakespeare accumule à travers le thème de l’identité méconnue, les enchevêtrements, les péripéties bouffonnes, l’ébahissement du public, les méprises jusqu’au dénouement où enfin, les quatre frères se retrouvent au même endroit et ne peuvent plus se confondre !
Bien que le grande force de cette mise en scène soit de jouer le jeu jusqu’au bout du bout, n’hésitant jamais à rajouter des couches sur des tranches déjà bien épaisses, il est difficile de tenir ce rythme jusqu’à la fin, et au bout d’un certain temps, le comique peut s’essouffler : il est un moment où le gâteau finit par être indigeste… Heureusement le jeu fruité et acidulé des acteurs nous rafraîchit et à la fin du spectacle, on serait même pour un deuxième gâteau plein de crème !!
© Mario Del Curto
Les costumes années 70, l’utilisation du langage familier (« Ouah ! Ca déchire ! », « Le vent qu’on vous jette à la gueule »…), les acteurs qui passent autant de temps à boire des pintes qu’à se parler, la musique ultra forte de boîte de nuit qui ponctue les actes… tout cela amène un climat anecdotique qui redonne un souffle et un coup de fouet au texte. Toute la mise en scène paraît tellement désinvolte et le jeu improvisé que l’on s’abandonne sans résistance au comique le plus gras ; ça s’engueule, ça pète, ça s’insulte, ça hurle, ça gémit… Et que c’est drôle !
Il faut dire que les acteurs y sont pour beaucoup, tous dépensent une énergie incroyable dans plusieurs rôles ! La présence magnifique de l’actrice Valérie Crouzet nous désarme ; elle interprète une Adriana (la femme d’un des deux Antipholus) folle, sincère et impuissante. C’est à chaque fois une bourrasque sur scène : un corps tenu, un débit de paroles démesuré avec une diction parfaite, une multitudes d’expressions jubilatoires, toutes ressenties, une fluidité dans tout ce qu’elle fait. Plus tard, on la retrouve dans le personnage d’une trainée, elle porte une tenue d’une vulgarité écœurante et reste magnifique malgré tout… David Ayala (les deux frères ‘Antipholus’) rappelle par ses expressions de visage comiques et très dures l’acteur Peter Ustinov. Les deux rôles qu’il tient lui offrent la possibilité d’accumuler des couleurs de jeu ; parfois touchant, parfois bête, ridicule, grossier, offensé, sale, innocent… On respire avec lui et on ne le quitte pas des yeux. Les autres acteurs sont tous très drôles et très à l’aise dans les scènes et les lazzis.
Voilà un spectacle qui s’est offert la liberté d’aller loin, qui met en scène Shakespeare de façon populaire et devant lequel on rit de bon cœur !
La Comédie des Erreurs
De : William Shakespeare
Traduction : Mériam Korichi
Mise en scène : Dan Jemmett
Scénographie : Dick Bird
Lumière : Arnaud Jung
Costumes : Sylvie Martin-Hyszka-
Avec : David Ayala, Vincent Berger, Thierry Bosc, Valérie Crouzet, JulieAnne RothDu 19 janvier au 12 février 2011
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de la Chapelle, 75 010 Paris – Réservations 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com