Critiques // « La Cagnotte » d’Eugène Labiche au Théâtre des Quartiers d’Ivry

« La Cagnotte » d’Eugène Labiche au Théâtre des Quartiers d’Ivry

Mai 06, 2010 | Aucun commentaire sur « La Cagnotte » d’Eugène Labiche au Théâtre des Quartiers d’Ivry

Critique de Florian Fauvernier

1864 – La Ferté-sous-Jouarre

Depuis des années, une association d’amis joue à la « bouillotte » (succédané du poker) tous les jeudis. On s’ennuie ferme, entre chamailleries, susceptibilités, petits règlements de compte, sans jamais s’interroger sur le sens de la vie. Une cagnotte a été constituée. On y dépose sa contribution chaque fois qu’un brelan apparaît dans le jeu. Il est temps de casser la cagnotte…Grand moment d’émotion : de cette cagnotte surgit une somme d’argent et quelques boutons (certains trichent) et la petite troupe décide, à une courte majorité, de faire un voyage d’une journée à Paris. C’est cette folle journée parsemée d’embûches et de grands périls qui est donnée à suivre.

© Hervé Bellamy

Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.

Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement entre cette pièce de Labiche et la chanson de Brassens dont voici le premier couplet :
« C’est vrai qu’ils sont plaisants tous ces petits villages
Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités
Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs plages
Ils n’ont qu’un seul point faible et c’est être habités
Et c’est être habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts
La race des chauvins, des porteurs de cocardes
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part »

Le temps ne fait rien à l’affaire…

D’entrée de jeu le ton est donné cette pièce est une caricature. Les personnages aux trognes pittoresques, ventrus pour les uns, dodues et fessues pour les autres entrent en scène. Chacun arbore fièrement son état bedonnant recouvert d’un costume pale et gris à la non couleur de ce qui semble être leur quotidien. « La Ferté-sous-Jouarre. La Ferté-sous-Jouarre. » Le nom de leur village répété à loisirs par ces chauvins locaux. Ignorant des autres et tout empli de leur personne et de leur destinées. Destinées qui, par un hasard que chacun s’attribue, va les conduire à la Capitale. De nos jours la formule est encore usitée par nombre de nos contemporains campagnards lors du salon de l’agriculture, « nous sommes montés à la capitale ». Dans cette sentencieuse formule se tient tout ce que l’événement comporte de sensationnel, d’inédit et parfois de grisant…De nos jours en 2010. Alors, pensez il y a 150 ans.

© Hervé Bellamy

L’arrivée à Paris, ingénieusement mise en scène par Adel Hakim secondé admirablement par Yves Collet qui signe ici scénographie et lumière, se manifeste tout d’abord par des costumes pleins de couleurs et de malices. Autant le petit bourgeois Fertois, tel qu’il nous est représenté ici, est aussi heureux, grimé et costumé que peut l’être l’oncle Fétide de la famille Adams, autant le serveur parisien apparaît quant à lui déguisé tel une guêpe à la taille fine et à la bouche piquante. Piquante mais également chantante. Chacune des étapes parisiennes qui se succèdent avec un rythme d’enfer pour nos provinciaux est rehaussée de musique et chansons dont le texte la plupart du temps est celui de Labiche chorégraphiée dans l’allégro presto par Véronique Ros de la Grange! La classe! Agostino Cavalca de son côté nous surprend également beaucoup avec les costumes des policiers… mais lorsque le personnage de Cocarel, directeur de l’agence matrimoniale apparaît, avec lui, entre en scène l’image de Vincent Vega dans Pulp Fiction, habillé d’une tenue disco brillant de mille feux ! Mention spéciale à Prunella Rivière, formée à l’ENSATT, sublime Léonida en proie au vertige de l’amour, et également à Jean-Charles Delaume, formé à l’école internationale de Théâtre Jacques Lecoq, extraordinaire interprète de deux personnages totalement antinomiques ; Félix, jeune amoureux à la mèche blonde rebelle et à l’attitude d’automate soulignant sa position de marionnette, et puis Béchut secrétaire de police, sombre, plié et totalement caustique. C’est une leçon de théâtre, de chant, de danse et d’imagination que l’on peut voir sur cette scène d’Ivry. Et cerise sur le gâteau le décor s’ouvre de cadres, de fosses pour nous conduire tantôt au restaurant, au poste de police, au salon du mariage, dans la rue, bref, partout où Labiche, formidable caricaturiste, a décidé de nous promener, nous simples spectateurs, et ce, depuis 1864 !

La Cagnotte
De : Eugène Labiche
Mise en scène : Adel Hakim
Avec : Maryse Aubert, Thierry Barèges, Isabelle Cagnat, Etienne Coquereau, Jean-Charles Delaume, Malik Faraoun, Serge Gaborieau, Nigel Hollidge, François Raffenaud, Prunella Rivière
Scénographie et lumière : Yves Collet
Musique originale : Marc Marder
Chorégraphie : Véronique Ros de la Grange
Directrice de chant : Martine-Joséphine Thomas
Costumes : Agostino Cavalca assisté de Dominique Rocher
Son : Anita Praz
Maquillage et perruques : Nathy Polak
Assistant à la mise en scène : Florian Alberge

Du 3 au 29 mai 2010

Théâtre des Quartiers d’Ivry
1 rue Simon Dereure, 94 200 Ivry-sur-Seine
www.theatre-quartiers-ivry.com

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