Critiques // « La bonne âme du Se-Tchouan » de Bertolt Brecht, mise en scène Jean Bellorini, Théâtre Gérard Philippe.

« La bonne âme du Se-Tchouan » de Bertolt Brecht, mise en scène Jean Bellorini, Théâtre Gérard Philippe.

Jan 13, 2015 | Commentaires fermés sur « La bonne âme du Se-Tchouan » de Bertolt Brecht, mise en scène Jean Bellorini, Théâtre Gérard Philippe.

ƒƒƒ Article de Camille Hazard

 

 © Polo GARAT - ODESSA

© Polo GARAT – ODESSA

 » Il est dur, votre monde ! Trop de misère, trop de désespérance.
La main tendue au malheureux, il te l’arrache aussitôt !
Celui qui aide, celui-là, lui-même, se perd ! Quand devant lui on meurt de faim,
Qui pourrait longtemps refuser d’être mauvais ? « 
Shen Té

 

 
Comment être une bonne âme sur cette terre ?
Comment faire le bien autour de soi sans être la proie des vautours et avec quelle force parvient on à ne pas se dévoyer ni se pervertir ?

Dans la province du Se-Tchouan, là bas, aux confins de la Chine, Brecht plante son théâtre.
Trois dieux en voyage à la recherche d’une bonne âme, rencontrent Shen Té, une jeune prostituée. Celle-ci souhaite faire le bien autour d’elle mais comment y parvenir quand l’assiette est vide et que le ventre crie famine…? Touchés, les Dieux lui offrent les moyens financiers de s’installer et d’ouvrir un débit de tabac…
Ce petit commerce devient rapidement un canot de sauvetage pour la ville entière qui tente de survivre à la misère.
Le peuple égoïste, avide, finit par mettre Shen Té à genoux. Celle ci ne pouvant se décider à dire non à quiconque lui demanderait de l’aide, invente un cousin, se travestit et tente de récupérer les biens qui lui appartiennent. Là commence l’ambivalence de la pensée … Faire le bien oui mais à quel prix ? Faut-il que je souffre pour rendre les autres heureux ? N’ai-je pas droit moi aussi à une toute petite part de bonheur ?

La fin tombe comme un couperet ; « Au secours ! », les derniers mots du spectacle sonnent le glas et font place au chaos. Les hommes et les dieux sont impuissants. Le monde tourne toujours dans le même sens et celui ou celle qui tente un rééquilibre se voit submergé d’attaques de la part de ses congénères et ridiculement petit face aux rouages bien huilés du capitalisme. Car si Brecht, une fois de plus, tire un portait du peuple peu glorieux, plein de vices et de perversités, l’ennemi véritable est le système économique capitaliste qui corrompt les âmes et fait croître les besoins matériels alors même que les gens n’arrivent pas à manger à leur faim.

Jean Bellorini conduit une mise en scène pleine de malice, de tendresse et entraine ses acteurs vers un théâtre sincère et populaire. La réussite de ce travail tient d’abord à l’intention du metteur en scène de respecter avant tout la trame et les idées de l’auteur « Si nous parvenons à obtenir la juste qualité narrative, alors nous pourrons laisser ouverte l’interprétation, sans tout faire basculer tout de suite dans une morale un peu facile ». Sans chercher à donner la béquée aux spectateurs, Jean Bellorini fait confiance à Brecht et s’engouffre avec délice dans un théâtre artisanal fait de rires, de chansons, de travestissement, de moments graves, tragiques parfois, mais dans tous les cas, servi par des comédiens sincères, espiègles et brillants.
L’histoire s’installant, le public suit, souffle court, les mésaventures de Shen Té et le devenir chancelant de son débit de tabac fait naître un suspens effroyable !

Trois musiciens sur scène font naitre des ambiances très différentes, parfois totalement décalées avec l’action scénique; du rock, à la progressive, en passant par le jazz et le classique, la forme cabaret si chère à Brecht vit pleinement à travers la sensibilité artistique de J. Bellorini. A l’intérieur ou entre les tableaux, les personnages reprennent en chœur, le requiem de Mozart, ode funeste, annonciatrice du chaos qui règne dans cette province ; province universelle représentant tous les lieux où des hommes exploitent d’autres hommes. Les costumes de Macha Makeïeff mettent l’accent sur la classe ouvrière des années 80 et sont jubilatoires de vérité.

Jean Bellorini perpétue la tradition d’un théâtre populaire, intelligent et délicieusement divertissant.

 

 

La bonne âme du Se-Tchouan
De Bertolt Brecht
Mise en scène Jean Bellorini
Scénographie Jean Bellorini et Jean-Marc Boudry
Costumes Macha Makeïeff
Création musicale Jean Bellorini, Michalis Boliakis et Hugo Sablic
Son Joan Cambon
Maquillage Laurence Aué
Assistant mise en scène Mélody-Amy Wallet

Avec Danielle Ajoret, Michalis Boliakis, Xavier Brière, François Deblock, Karyll Elgrichi, Claude Évrard, Jules Garreau, Jacques Hadjaje, Camille de La Guillonnière, Blanche Leleu, Clara Mayer, Teddy Melis, Marie Perrin, Marc Plas, Geoffroy Rondeau, Hugo Sablic, Damien Zanoly et en alternance Lévie Davêque, Jeanne Lahmar-Guinard, Altino Santos Echeverria

Du 8 au 18 janvier 2014
Du lundi au samedi à 20 h – dimanche à 15 h 30 – Relâche le mardi
Durée : 3 h 15 avec entracte

Théâtre Gérard Philippe
59, boulevard Jules-Guesde
- 93207 Saint-Denis
M° Saint-Denis Basilique
Réservation 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilippe.com

 

Be Sociable, Share!

comment closed