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La Barrière d’Osaka sous la neige des amours, à la Maison de la culture du Japon à Paris

Mai 19, 2016 | Commentaires fermés sur La Barrière d’Osaka sous la neige des amours, à la Maison de la culture du Japon à Paris

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Yago no Kai - copie

© Yago no kai

Heureuse initiative de la Maison de la Culture du Japon ! Initier le public non averti au kabuki, cet art populaire (le Nô, lui, est d’essence aristocratique), avec l’invitation de Bandô Yajûrô et de son fils aîné Bandô Shingo, acteurs de Kabuki. Deux pièces furent présentées. Omatsuri (le grand festival), extraite d’une oeuvre populaire Mata kokoni kabuki no hanadashi, ou un chef de pompier, un « tobigashira », courtise une geisha avant d’être importuné par des jeunes gens. L’occasion de découvrir une danse où le grotesque le dispute à la délicatesse. Un art spectaculaire dans sa démesure volontaire, le miè ou exagération des postures, art cependant extrêmement raffiné et complexe. Jusque dans les scènes de bagarres chorégraphiées. L’occasion aussi de découvrir l’art de l’Onnagata, travesti traditionnel, dont Bando Shingo est l’un des jeunes représentants.

De la bagarre, il en est question également dans la seconde pièce Tsumuro koi yuki no seki no to (la barrière d’Ôsaka sous la neige des amours). Près d’un cerisier en fleurs en plein hiver, le gardien de la barrière, enivré, dont l’identité réelle est Ômoto no Kuronushi, qui souhaite détrôner l’empereur, aperçoit au fond de sa coupe une étoile. Prédiction de la réussite de son entreprise à la condition d’abattre le vieux cerisier aux fleurs palies, d’en bruler le bois en offrande aux dieux. Mais au moment de premier coup, il perd connaissance. L’esprit de l’arbre, incarné dans le corps d’une fille de joie, Kurozume, apparaît qui lui conte sa vie. Pendant ce récit Kuronushi laisse choir un morceau de manche de kimono ensanglanté. C’est la preuve du meurtre de Yasusada, l’homme que Kuruzome aimait. Un combat sans merci s’engage entre les deux qui révèle alors leur véritable identité.

Ce fut un moment magique, éblouissant. Drôle et poétique à la fois. Où tout l’art et le talent de ces deux acteurs éclataient. Nous étions subjugués, littéralement…

Mais la surprise est venue de la délicatesse et de la courtoisie de Bando Yajûro qui dans une adresse en excellent français nous souhaita la bienvenue entre les deux morceaux choisis. Surtout, passant au japonais, et pour que nous ne voyions pas perdus, du moins nous les occidentaux candides, a tenu une petite conférence pour expliquer l’histoire de son art, créé par une femme, Okuni, au début des années 1600, avant que les troupes féminines ne soient ensuite interdites, remplacées par des hommes aux alentours des années 1650. L’occasion également de nous offrir quelques clefs pour la compréhension des œuvres et de leurs interprétations. C’était stupéfiant de découvrir comment il s’engouffrait tout à coup dans un personnage. Une métamorphose soudaine qui laissait pantois. Sans le maquillage, sans accessoire surdimensionné (c’est ce qui indique la force du personnage comme la hache énorme de Kuronoshi), sans le costume extravagant traditionnel, rien que par le travail du souffle et de l’énergie, la maîtrise et la technique corporelle… Ainsi, qu’il marche dans l’eau, dans la neige, qu’il rame sur les flots déchaînés, ou rit aux éclats, ce fut un festival d’attitudes, d’expressions, de jeux… Nous découvrions également, étonnés, que la neige dans le Kabuki a un son bien caractéristique. Un léger bruit de tambour… rien à voir avec la grêle ou l’orage. Ou le kami, fantôme dont l’apparition est précédée d’une partition reconnaissable. Il y avait beaucoup, de la part de ce grand monsieur, d’humour et de modestie… Et un évident goût du partage.

Munis de ces outils nous étions fin prêts à attaquer La Barrière. Sans sous-titre, à sa demande, ce qui fut judicieux et permit de se concentrer sur le jeu sans obstacle. Même si les kata, expressions et signes, nous échappaient, si nous en devinions d’autres, si soudain le tambour résonnait et que nous comprenions combien la neige envahissait le plateau, c’est avec un vrai bonheur, ébahis, que nous suivions ce qui s’exprimait entre comédie et tragédie. Mais ce jeu est tellement expressif que nous ne perdions rien de ce qui sur le plateau se dansait. Tout concourrait à cet enchantement, cette merveille, cette découverte. La métamorphose des deux personnages, un changement de costumes à vue étonnant. La grâce d’onnagata de Bandô Shingo, la ligne en S si caractéristique, souple comme un roseau, aux mains volubiles, aux manches d’eau flottantes comme autant de signes mystérieux. C’est un regard candide, même pour qui est un peu initié, mais cet « exercice de l’ailleurs », pour reprendre une expression de Vitez à propos du nô, ouvre à l’appréhension d’un art qui, nous le vîmes il y a peu sur la même scène avec la compagnie Kinoshita-Kabuki, a su également se renouveler sans rien renier de la tradition, tradition dont nous avions ces quelques jours une démonstration éclatante. Regard naïf sans doute d’un occidental mais cette appréhension candide ouvre sur un ailleurs, un imaginaire dépoussiéré de tout exotisme, de clichés.

 

Omatsuri (le grand festival)
Tsumuro koi Yuki no seki no to (La barrière d’Ôsaka sous la neige des amours)
Avec Bandô Yajûro et Bandô Shingo
Bandô Yashichi, Bandô Yafu, Bandô Yamon
Musique et chant de style Tokiwazu
Chant et récitatif de Jôruri : Tokiwazu Kanetayu, Tokiwazi Kikumidayu, Tokiwazu Chizutayu
Shamizen : Tokiwazu Mozibei, Kishizawa Shikiharu
Autres instruments : Tanaka Saei, Mochizuki Sanomaru, Tanaka Denkichi, Tanaka Dentatrou
Chorégraphie Fujima Kanjuro (Omatsuri), Fujima Rankoh (La barrière d’Osaka)
Décors Kabuki-za Butai (SA)
Lumières Adachi Yasuo
Accessoires scènes Fujinami Kodôgu (SA)
Costumes Shôchiku Ishô (SA)
Perruques Nippon Engeki Katsura
Coiffeur (tokoyama), Kamoji Tokoyama, Mitsumine Tokoyama
Arguments des pièces Iguchi Yukoh
Musique révisante SBS
Avec la collaboration de Shôchiku (SA)
Du jeudi 12 au samedi 14 mai 2016

Maison de la culture du Japon
101 bis, quai Branly – 75015 Paris
Réservations 01 44 37 95 95
www.mcjp.fr

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