À l'affiche, Critiques // « La 9ème nuit, nous passerons la frontière », de Michel Agier et Catherine Portevin, mise en scène de Marcel Bozonnet à la Maison des Métallos

« La 9ème nuit, nous passerons la frontière », de Michel Agier et Catherine Portevin, mise en scène de Marcel Bozonnet à la Maison des Métallos

Avr 21, 2017 | Commentaires fermés sur « La 9ème nuit, nous passerons la frontière », de Michel Agier et Catherine Portevin, mise en scène de Marcel Bozonnet à la Maison des Métallos

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

laneuviemenuit-1

© Pascal Gely

« La 9ème nuit, nous passerons la frontière», mise en scène de Marcel Bozonnet, se doit d’être impérativement vu. Non pour convaincre ceux qui hurlent leur haine en braillant « on est chez nous », ceux-là trop aveuglés, occupés à prouver qu’ils sont français de souche, mais pour entendre la parole de ces femmes et de ces hommes pointés du doigt, enjeux politiques –parfois rance- malgré eux, les migrants. Une réflexion loin de toute passion sur « l’identité du déplacé » qui pourrait se résumer en un mot bref, trop, l’exil. Car tout migrant est un exilé. Un fugitif. Renversant les points de vue, partant de l’essai de l’anthropologue Michel Agier, « Le couloir des exilés », cette création bouscule nos préjugés. Surtout elle offre un visage humain bouleversant, loin de toute abstraction, loin de tout sensationnalisme. L’histoire d’une odyssée tragique, le voyage sans issue et sans retour possible de ceux qui cherchent leur place sur la terre, condamnés à l’immobilité d’un campement, d’une jungle, confrontés aux murs et frontières érigés, soumis à la peur, les préjugés, la haine. C’est une mise en scène d’une grande sobriété, presque sèche, évitant tout pathos émollient et inutile. L’intelligence d’une ligne claire où la parole est portée avec justesse à la manière d’un conte. Une parole qui n’élude rien. Quelques accessoires, des valises et un charriot pour tout viatique et richesse, une bâche pour s’abriter parfois, quelques bassines, Marcel Bozonnet n’encombre pas le plateau, rien jamais d’anecdotique. L’essentiel est la parole, une langue merveilleusement châtiée pour dire l’indicible, la souffrance et la violence. L’espoir aussi, aussi maigre soit-il. Et cette violence-là, parfois au-delà de la situation dramatique, c’est le corps aussi qui la porte haut. Car l’histoire d’un homme s’inscrit toujours au creux de son corps. Un corps à la violence rentrée, une rage sourde, gage non d’une vie mais ici d’une survie élémentaire et nécessaire. Corps volontaire, traqué, bousculé, violenté. Corps en marche jusqu’à l’épuisement, la chute. Celle-là même, obstinée, qui ouvre cette création. Roland Gervet, le narrateur, « l’homme sur la frontière », est accompagné dans ce récit par Anne-Marie Van dit Nach, danseuse de krump, une danse née à Los Angeles dans les années 90 dont le moteur est la rage. Une danse engagée donc et qui engage tout le corps. Elle est « la migrante ». Elle donne un poids de chair et de vie incroyable, une énergie qui irradie tout le plateau qu’elle occupe de sa présence magnétique et fauve, fébrile. Rien de spectaculaire ni de démonstratif mais au contraire une retenue, une tension, une densité, voire une urgence, qui éclate parfois et offre une vérité poignante au récit, une identité physique et grave à ces milliers d’inconnus rejetés en quête d’un exil. À ces milliers d’inconnus dont la méditerranée est devenu le tombeau. Et Marcel Bozonnet enchâsse ainsi et sans heurt, avec beaucoup de fluidité, deux récits, celui d’un corps et celui d’une voix qui ne font plus qu’un pour représenter ces hommes et ces femmes, ces anonymes désormais immobiles aux frontières, miroirs de notre incurie, notre lâcheté, et résistance politique à les accueillir. Cette dernière création de Marcel Bozonnet, comme Soulèvement(s) donnée également à la Maison des Métallos en 2015, redonne tout son sens premier au théâtre, un engagement citoyen, celui du politique au sens des affaires de la citée. Une citée devenue le monde. Un théâtre profondément humaniste, un théâtre de résistance plus que jamais indispensable aujourd’hui.

La 9ème nuit, nous passerons la frontière
De Michel Agier et Catherine Portevin
Mise en scène Marcel Bozonnet
Avec Roland Gervet, Nach et la voix de Nawel Ben Kraiem
Scénographie et costumes Renato Bianchi
Collaboration artistique Nathalie Von Parys
Conception artistique vidéo Raphaelle Vassent
Régie générale Anne Lezervant et Vianney Davienne
Construction Alain Pinochet et Frédérique Vassent
Peinture Claude Durand
Photographies Sara Prestianni

Du mardi 18 au dimanche 23 avril 2017
Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 19h, le dimanche à 16h

Maison des Métallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud – 75011 Paris
M° Couronnes
Réservations 01 47 00 25 20
www.maisondesmetallos.org 

Be Sociable, Share!

comment closed