À l'affiche, Critiques // Kroum, de Hanokh Levin, mise en scène de Jean Bellorini, Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis

Kroum, de Hanokh Levin, mise en scène de Jean Bellorini, Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis

Jan 22, 2018 | Commentaires fermés sur Kroum, de Hanokh Levin, mise en scène de Jean Bellorini, Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis

© Anastasia Blur (photo des répétitions)

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

 

« Maman, je n’ai pas réussi. Je n’ai trouvé ni la fortune ni le bonheur à l’étranger. Je n’ai pas avancé d’un pouce, je ne me suis pas amusé, pas marié, pas même fiancé. Je n’ai rencontré personne. Je n’ai rien acheté et je ne ramène rien. Dans ma valise, il n’y a que du linge sale et des affaires de toilette ». Voilà ce que Kroum dit à sa mère à son retour de l’étranger. Retour au pays natal, Israël, sous le sceau de l’échec. Retour dans son quartier de Tel Aviv, mais qui pourrait être n’importe où dans le monde, chez sa mère, dans cet immeuble où végètent encore Tougati l’affligé, éternel hypocondriaque et Schkitt le taciturne. Il y a encore Doupa et Trouda. Ces quatre-là ne sont jamais partis. Tougati mourra bientôt après avoir épousé Doupa qui ne l’aime pas. Doupa partira, elle,  pendant l’agonie de Tougati, espérant réussir ailleurs, caissière dans le nord. Trouda épousera Takhti qu’elle n’aime pas non plus. Schkitt aussi disparaîtra, sans un mot, comme à son habitude. Et puis il y a les voisins, ce vieux couple qui se déteste tant à vivre ensemble. Tout ce petit monde ne rêve, n’a d’ambition que d’un confort médiocre, d’un ailleurs – l’italie ? – que nul n’atteindra jamais, englué, empoissé dans ce quotidien désespérant et morne ou suinte l’ennui et le manque d’amour. Kroum n’écrira jamais son roman, n’épousera personne, restera là, seul, définitivement, présent, avenir et ambition en berne. Kroum l’ectoplasme… Cette pièce parle de ça, de ce déterminisme social et culturel qui abêtit et pousse à l’inertie. Personne, malgré leurs rêves, ne se donnent les moyens d’aller un peu plus haut. Tout est joué d’avance se disent-ils. Un « à quoi bon » qui résume leur destin étriqué, leur désespérant immobilisme. Pièce sur le désastre de nos vies, c’est une tragédie désespérante et sans rémission que sauve l’acidité d’un humour caustique qui évite le cynisme. Kroum est un personnage tragique, lucide, mais sans grandeur, minable même. Jean Bellorini signe une mise en scène toute simple mais d’une grande profondeur, attentif à chaque personnage, dessinés avec soin, au cordeau. Sans chichi ni tralala, sans misérabilisme, mais avec et comme toujours, un sens certain et heureux de la troupe, du collectif. Kroum est une pièce chorale, que signe d’emblée la scénographie ; un immeuble, petites pièces empilées les unes sur les autres, qui cloisonnent, isolent, et en même temps regroupent cette communauté dans un cadre étroit et comme démultiplié. Des personnages toujours à vue, ou presque,  prisonniers du regard et de la présence des uns et des autres. Surtout, Jean Bellorini a un superbe atout, la troupe du Théâtre Alexandrinski de Saint Pétersbourg. Chaque comédien investit son personnage de manière fulgurante, prégnante, avec une densité rare et un sens du collectif époustouflant. Tous donnent à leurs personnages, aussi minables soient-ils, un poids d’humanité dans leur laideur, leur petitesse,  une énergie folle et désespérée, qui les illuminent, les grandit, à défaut de les sauver. Et circulent entre eux quelque chose d’indicible qui les lient indubitablement et solidement. Celle sans doute malgré leurs différences et leurs conflits, de partager un même destin, de l’affronter, vivre avec, sans barguigner, pour sinon monter plus haut ne pas descendre plus bas. De jouer aussi, au-delà,  quelque chose d’essentiel et de juste qui en dit long sur le délitement de notre société matérialiste et libérale. Tel Aviv c’est partout ailleurs, c’est aussi la Russie, l’Europe de l’ouest… C’est tout cela que Jean Bellorini met en scène avec une heureuse simplicité, de jolies et fines trouvailles aussi, l’air de ne pas y toucher, mais avec une sureté dans la direction d’acteur – encore une fois, quels acteurs ! – dont il a su tirer, dans un exercice de l’ailleurs cher à Vitez, le meilleur parti.

 

Kroum de Hanokh Levin

Mise en scène de Jean Bellorini
Collaboration artistique  Mathieu Coblenz
Assistanat à la mise en scène  Macha Zonina ( interprète)
Scénographie  Jean Bellorini, assisté de Mikhaël Koukouchkine
Costumes  Macha Makeïeff, assisté d’Olga Ouskova
Traduction russe  Marc Sorsky
Traduction française  Laurence Sendrowicz

Avec la troupe du Théâtre Alexandrinski (Saint Pétersbourg) :

Vasilissa Alexéeva, Sergey Amossov, Dmitri Belov, Ivan Efremov, Iossif Kochelevitch, Maria Kouznetsova, Vitali Kovalenko, Vladimir Lissetski, Dmitri Yulia Martchenko, Marina Roslova, Olessia Sokolova, et le musicien Michalis Boliakis

Du 18 au 28 janvier 2018
Du lundi au samedi à 20h, dimanche à 15h30, relâche le mardi

 

Théâtre Gérard Philipe
Centre dramatique nationale de Saint-Denis
59 boulevard Jules Guesde
93200 Saint-Denis

Réservations 0148 13 70 00

ww.theatregerardphilipe.com

reservation@theatregerardphilipe.com

 

 

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