À l'affiche, Critiques // King Lear remix, d’Antoine Lemaire, mise en scène de Gilles Ostrowsky et Sophie Cusset, au Théâtre de Belleville

King Lear remix, d’Antoine Lemaire, mise en scène de Gilles Ostrowsky et Sophie Cusset, au Théâtre de Belleville

Jan 10, 2019 | Commentaires fermés sur King Lear remix, d’Antoine Lemaire, mise en scène de Gilles Ostrowsky et Sophie Cusset, au Théâtre de Belleville

© Claire Acquart

  

ƒƒ article de Denis Sanglard

Métamorphoser le grand théâtre du monde du grand Will en un minable cabaret, faire d’une tragédie un pastiche Grand-Guignol, Gilles Ostrowsky, Sophie Cusset et Antoine Lemaire franchissent allègrement le pas. C’est cash, trash, iconoclaste, potache. Voilà un Roi Lear, comme l’indique son titre, remixé. Voire pilé, broyé, passé à la moulinette et haché menu-menu, réduit comme on réduit une sauce au sang, pour en extraire l’essentiel, concentrer toutes les saveurs, épaissir la matière. Et le trait est ici fort épais, le goût acide. Enfin comme l’annonce Lear d’emblée « C’est pas les trois sœurs de Tchekhov, c’est sûr ! ». Sûr que c’est sûr !.. On lorgne plus vers Dynastie ou Dallas version du pauvre et bricolée. Peu de moyen, une mise en scène à la va comme je te pousse qui ne s’embarrasse pas d’effets, de fioritures, de détails. C’est à grands traits, à coup de trique, au jugé que tout avance cahin-caha, hoquète sans se soucier si les gags parfois tombent à plat, le rythme patine ou pas. Changement de décors à vue, rien qu’une table qu’on pousse et déhousse, de costumes qu’on accessoirise, un peu. Problème de micros et musique à vous exploser les tympans. Projection de vidéo sur draps sales et froissés. Ils sont quatre sur le plateau à se démener comme des beaux diables, à se démultiplier, changer de rôles sans prendre la peine vraiment de changer de caractères. De vrais sales gosses irrévérencieux qui font comme si, le si magique des enfants et des adultes mal-dégrossis. Nous sommes au théâtre après tout, le reste n’est que convention. Que les spectateurs se débrouillent avec ce qu’on leurs jette en pâture. Relecture caustique au vitriol, donc, recentré sur le drame familial, Lear et ses trois filles. Un roi Lear épuisé, déprimé, accablé, qui n’a de consolation qu’auprès de son fou, hétaïre affublée d’un nez de clown. Une histoire d’héritage, de partage, et de ses conséquences tragiques et sanglantes. Lear abdique devant la caméra, en direct comme on lance une idée, un chiche et cap’ dont les conséquences seront désastreuses. Antoine Lemaire signe une farce, une pantalonnade fort bien et habilement troussée où le spectateur est pris en otage sans savoir si tout ça c’est du lard ou du cochon comme de nous faire prendre un cake pour de la terrine de Saint-Jacques. Shakespeare est dégraissé jusqu’à l’os, ne subsistent que quelques lambeaux épars, et la vérité du mythe apparaît sous les chairs, déchirées à pleines mains par ces quatre augustes sur le plateau. Antoine Lemaire touche à l’universel, les histoires de famille et les Atrides, c’est du pareil au même, kif-kif bourricot. C’est de l’équarrissage, faut que ça saigne. Au centre de cette farce saignante donc et grotesque écrite au couteau, Gilles Ostrowsky, Lear cintré et ubuesque. Qui illustre parfaitement cette phrase tant rebattue « C’est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien » (McBeth). Parce que l’idiot utile et ahuri Gilles Ostrowsky, matois, sait très bien faire. Et c’est bien son point de vue, celui de Lear, sa myopie, qui dévaste le plateau, bientôt un vaste capharnaüm dépressif et fait tout exploser de l’intérieur avant de se propager. Jusqu’au rire de la salle. Résumé de façon lapidaire en conclusion de ce jeu de massacre jubilatoire : « J’ai fait conneries sur conneries ». Ni mea culpa, ni remords pour autant. On ne saurait mieux résumer et de la fable et de la mise en scène. Rien de péjoratif ; la déconnade, la farce, le clown c’est le rire devant l’effroi qui masque à peine le tragique de l’existence.

© Claire Acquart

 

 

King Lear remix d’Antoine Lemaire

Un projet de Gilles Ostrowsky et Sophie Cusset

Avec Robin Causse, Sophie Cusset, Daniele Hugues et Gilles Ostrowsky

Scénographie  Sophie Cusset et Gilles Ostrowsky

Costumes Sophie Cusset et Jacotte Sibre

Lumières Sébastien Debant

Assistante artistique Audrey Bertrand

 

Du 09 au 26 janvier 2019

Du mercredi au samedi à 21h15

 

Théâtre de Belleville

94 rue du Faubourg du Temple

75011 Paris

 

Réservations 01 48 06 72 34

www.theatredebellevillle.com

 

Tournée : 28 au 30 janvier 2019 Les scènes du Jura-Scène nationale (39)

 

 

 

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