© Sofia Alazraki
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Kill me de Marina Otero, troisième opus après Fuck me et Love me du projet Recordar para vivir (se rappeler pour vivre) où cette performeuse radicale, écorchée, propose de présenter différentes versions de ses œuvres jusqu’à la fin de sa vie. Kill me aborde la folie frontalement et sans tabou. Crise de la quarantaine, amour toxique, violence et rupture, crise psychotique et diagnostique : borderline. Que résume lapidairement Marina Otero, la folie n’est que l’expression de l’amour à l’excès. Et c’est sans doute cela qui définit le mieux Marina Otero, l’exacerbation. La vie et la violence, qui lui semblent indissociables, débordent de partout chez Marina Otero. La danse même est mise à l’épreuve, toujours hors de son axe, à se fracasser au sol comme elle le démontrait dans Fuck me et jusque dans ses conséquences désastreuses. La danse comme métonymie d’une vie toujours désaxée de son orbite. Pour s’en dégager, ne plus se cogner la tête contre les murs, mettre de la distance, elle s’invente ici un avatar, Sarah Connor, perruque rousse, arme au poing et gants de boxe pour mieux se cogner à la réalité, ce combat quotidien. De cette réalité dans sa dualité versatile dont elle fait fiction, brouillant volontairement les pistes, mises en abyme jusqu’au vertige, exposée, surexposée, voire explosée sur le plateau est autant un processus poétique, dramaturgique qu’une catharsis pour la compréhension de soi dans son rapport fragile et douloureux au monde. Marino Otero devient lucidement un objet performatif fictionnel que cet avatar, ce qui est nouveau chez elle, concrétise aujourd’hui dans une mise à distance symbolique et salutaire. Faire de sa vie une œuvre, seule solution viable à l’entendre, c’est ainsi faire acte de réparation et de conciliation, à défaut de guérison. Vivre enfin, résister jusque dans l’économie du spectacle, son industrie qui l’oblige de fait, sinon la condamne pourtant à entretenir, préserver, exposer cette violence et cette souffrance. C’est d’une lucidité redoutable.
Sur le plateau sont invités trois danseuses, une chanteuse et le « double » de Nijinski. Atteint.e.s de troubles mentaux, schizophrènes, bipolaires ou borderline. Un catalogue DSM non dénué d’humour féroce. A l’exception d’une dont le rapport à la folie ne tient qu’à ses parents, psychiatres lacaniens. Mais comme lui dit Marina Otero, en cherchant bien on devrait lui trouver quelque chose… Entrant sur le plateau clonées à l’image de Sarah Connor, sur une chorégraphie qui les voient appuyer sur la gâchette, viser le public et bientôt s’entretuer dans un joyeux jeu de massacre, avant de se défaire de ce personnage de fiction pour revenir à leur propre réalité et se raconter sans fard, exposant leurs intimes fêlures, présentant chacune à leur un tour un solo, ballet classique à l’arrache ou tuto de Floss pioché sur Tik Tok, reprise d’Edith piaf, borderline elle aussi apprend-on, simple glisse sur patin à roulette en citant du Lacan, où revient, leitmotiv commun, l’excès comme symptôme, révélateur de leur maladie et de leur pratique artistique. C’est cru, bouleversant, percutant et drôle. L’émotion est là, palpable. Marina Otero raccorde ainsi la folie amoureuse et le monde de l’art dans une même problématique d’exacerbation, de narcissisme aigu où la représentation de soi devient un enjeu vital et à double tranchant. Et si la figure de Nijinski est présente ici, composition hilarante de son double Tomás Pozzi, diagnostiqué également schizophrène, c’est qu’elle résume froidement ce que peut être la souffrance de l’artiste en prise avec la folie, son rapport à l’art et à la réalité qui le condamne et le détruit possiblement. Et ce qu’il y a de nouveau, on ne l’aurait pas cru, oui, où que nous n’avions pas perçu jusque-là, c’est l’humour déglingué qui traverse cette création sans concession, où l’excès et la folie, voire l’amour, ne sont peut-être pas autre chose qu’un putain et formidable sentiment de vie aussi chaotique soit-elle !
© Sofia Alazraki
Kill me, écriture et mise en scène de Marina Otero
Avec : Ana Cotoré, Josefina Gorostiza, Natalia Lopéz Godoy, Myriam Henne-Adda, Marina Otero et Tomás Pozzi
Assistanat à la mise en scène : Lucrecia Pierpaoli
Regard extérieur : Martin Flores Càrdenas
Création lumière : Victor Longàs Vicente et David Seldes
Son : Antonio Navarro et Salvador Susarte
Costumes : Andy Piffer
Couture : Guadalupe Blanco Galé
Création vidéo : Florencia de Mugica
Photographie : Sofia Alazraki
Régie générale et régie lumière : Victor Longàs Vicente
Opération des surtitres : Chiara Ghio
Du 25 au 29 septembre 2024
Mercredi, jeudi et vendredi à 21h
Samedi à 20h, dimanche à 17h
A partir de 16 ans
Présence importante de scène de nudité intégrale et contenu sensible autour du sujet du suicide.
Théâtre du Rond-Point
2bis, avenue Franklin D. Roosevelt
78008 Paris
Réservations : www.theatredurondpoint.fr
Tournée : 5/11/2024? Festival Immersion Danse, Théâtre de l’Onde / Velizy
https://www.londe.fr/programmation/spectacles/kill-me=
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