Critique de Camille Hazard –
Nous voilà conviés à une soirée chic où se mêlent sur scène costards, jazz et champagne, et où des acteurs vont jouer pour nous « Julius Caesar » de William Shakespeare.
Le théâtre dans le théâtre ou plutôt, un grand spectacle.
L’ambition du metteur en scène français, Arthur Nauziciel, a été de mettre en forme cette pièce, où l’action repose uniquement sur la parole et les discours, en exposant le spectacle outrancier de la politique des années 60 aux Etats-Unis. Ambitieux projet compte tenu de la longueur et de la difficulté de ce texte ! Œuvre créée aux Etats-unis en 2008 avec des acteurs américains, dont des « stars de séries télé » ; on retrouve jusque dans le choix des comédiens son parti pris de poser le problème de la société du spectacle et de l’image : le détail poussé à l’extrême !
© Frédéric Nauczyciel
Étrange paradoxe que cette pièce : Julius Caesar est l’œuvre de Shakespeare la plus politique, et peut-être même la plus politique de toutes. Et pourtant, on n’y retrouve aucune allusion quant à un quelconque programme ou lois dictés par César, à peine une évocation de l’esclavage. Cette pièce traite de la passation de pouvoir et non du pouvoir en lui-même, comme un manuel destiné aux futurs hommes politiques. Tandis que César ne restera empereur qu’une nuit, Rome attend toujours une couronne à la fin de la pièce. Shakespeare nous montre, avec un esprit visionnaire incroyable, la machine et les rouages de la souveraineté et comment elle peut glisser des mains de celui qui la porte.
La pièce se déroule en cinq temps forts. Elle commence par le couronnement de César par Marc Anthony, devant une foule qui réclame un empereur. Pendant la nuit, des proches de César font des rêves étranges, ont des prémonitions sur le meurtre de sa personne ; c’est le temps hors du temps, l’espace surnaturel où les présages, les maléfices et les évocations aux dieux sont révélés. Cette même nuit un complot contre l’empereur se met en place ; Cassius persuade Brutus de prendre les commandes de cette conspiration meurtrière. Quelques heures plus tard, malgré les présages et les pressentiments de son entourage, César se rend au Capitole : le guet-apens a lieu, il est assassiné. Rome perd son empereur, c’est le chaos et bientôt la guerre civile entre les conspirateurs et Anthony, qui ne pardonne pas le meurtre de son père spirituel.
« Brutus et César : qu’y a-t-il de plus en César ? Pourquoi ce nom serait-il clamé plus haut que le votre ? Écrivez-les côte à côte ; le vôtre est tout aussi beau ; prononcez-le, le vôtre est tout aussi bien dans notre bouche ; pesez-le, il est tout aussi lourd » Cassius
L’Histoire par la parole : nous traversons la pièce, immergés dans le verbe. Les décisions passent par la langue ainsi que les prémonitions et les conspirations. Le langage appelle inévitablement la question de la forme et de l’identité : « Qu’est ce que César, sinon un nom ? ». On retrouve d’ailleurs cette même interrogation dans « Roméo et Juliette ». Shakespeare montre également le peu de pouvoir dont peut jouir un souverain. À peine couronné, César est condamné à mourir, et non à cause de sa politique menée puisqu’il n’a encore pris aucune mesure ! Le complot naît à partir de suppositions quant à sa tyrannie éventuelle et les poignards pleuvront sur lui dès sa première décision souveraine.
© Frédéric Nauczyciel
Le travail du metteur en scène et de tous les acteurs est titanesque. Rien n’est laissé au hasard, chaque élément de mise en scène, chaque décor, chaque déplacement ont été pensés et travaillés au millimètre prés. Arthur Nauzyciel a réussi à déployer toute la force du texte tout en proposant une mise en scène qui prolonge le discours de Shakespeare. Son engagement à interroger la société actuelle, où la politique repose plus sur une représentation people que sur les discours, est mené sur scène avec une implacable froideur. Mais si une partie de sa mise en scène est anguleuse, dure, rectiligne, nous partageons des moments très chaleureux avec les acteurs : le trio de jazz qui intervient à certains moments, nous fait sortir de l’action pour des moments privilégiés avec les musiciens. Pendant l’entracte, les comédiens, toujours sur scène, quittent leur rôle pour se mêler à nous et nous introduire dans leur soirée. L’idée d’un grand spectacle est achevée.
Au commencement de la pièce, cinq rectangles blancs, posés en avant scène et devant lesquels les acteurs commenceront leurs discours : Monolithes de la pensée ? Par la suite, différents décors de salons (lieux où l’on parle) des années 60, se succèdent suivant les lieux de la pièce. Dans le fond de scène, superposés, des pans de toile, semblables à des grappes, où sont reproduites des salles vides de théâtre côté spectateurs.
La confusion naît alors dans notre esprit. Faisons-nous partie du spectacle, sommes-nous la plèbe, sommes-nous impliqués dans le couronnement de César ou dans son meurtre ? Cette ambiguïté nous donne à réfléchir sur la responsabilité et le poids que nous avons au sein de notre société. Comme nous sommes impliqués dans cette brillante soirée, nous le sommes aussi politiquement. Tâchons de réveiller notre conscience collective et individuelle !
Le temps de la pièce est très bien mené, l’action principale se déroule en une nuit et A.Nauzyciel n’hésite pas à prendre son temps, à imposer un rythme latent aux spectateurs, créant ainsi une atmosphère angoissante. Et quel plaisir de voir des acteurs lumineux, emplis du désir de jouer pour nous ! Des acteurs amples, disponibles dans leur corps avec une technicité quasi parfaite ! Une seule comédienne présente sur scène, qui joue les deux rôles féminins avec élégance et justesse. Enfin, on s’amuse, on réfléchit, on se laisse porter par l’histoire et par le jeu des comédiens ; du vrai spectacle.
À quand des acteurs de séries françaises aussi convaincants sur nos scènes de théâtre !!
Julius Caesar
– Anglais surtitré –
De : William Shakespeare
Mise en scène : Arthur Nauzyciel
Avec : Sara Kathryn Bakker, Luca Carboni, Gardiner Comfort, Ismail Ibn Conner, Jared Craig, Thomas Derrah, Roy Faudree, Thomas Kelley, Mark L.Montgomery, Daniel Lê, Daniel Pettrow, Neil Patrick Stewart et James Waterston
Le trio de jazz : Marianne Solivan (chant), Black Newman (contrebasse) et Eric Hofbauer (guitare)
Scénographie : Riccardo Hernandez
Lumières : Scott Zielinski
Costumes : James Schuette
Son : David Remedios
Chorégraphie : Damien Jalet
Surtitrage : Anika VerveckenDu 15 au 28 novembre 2010
Du lundi au vendredi à 19h30, samedi à 18h00 et dimanche à 16h00Théâtre Gérard Philipe
59 Boulevard Jules Guesde, 93200 Saint Denis, Réservations 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilipe.com