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Jubiler, texte de Denis Lachaud, mise en scène de Pierre Notte, Théâtre de la Reine Blanche

Fév 03, 2021 | Commentaires fermés sur Jubiler, texte de Denis Lachaud, mise en scène de Pierre Notte, Théâtre de la Reine Blanche

 

© Pierre Notte

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Stéphanie et Mathieu, l’amour à cinquante ans. Lui fraîchement divorcé, elle veuve depuis longtemps déjà. Pas des perdreaux de l’année, non. Application de rencontre, premier verre. On se jauge, on se séduit, on met au point, on met les formes, on couche, on se revoit, on ne se quitte bientôt plus… Pas de cristallisation amoureuse là, non. Mais une volonté étonnée à avancer pas à pas, en toute lucidité, avec toutes ses fragilités irrésolues. Ne surtout pas se regarder les yeux dans les yeux mais bien dans la même direction. Non sans heurt. Sa trouille à lui, sa peur de l’abandon. Sa volonté à elle, farouche, de rester libre, liberté acquise de haute lutte, pour mieux aimer cet homme. Chacun chez soi donc, indépendants, mais ensemble, toujours. Avec ce même élan, irrépressible et malgré tout, même boiteux, qui les pousse l’un vers l’autre. Parce qu’on sait, au fond de soi, parce qu’on a reconnu en l’autre sa moitié d’orange. Et qu’il n’est sans doute pas trop tard pour presser le jus. Fort d’une expérience de vie, celle d’avant, des échecs, des erreurs, de l’usure et du manque, qui n’empêchera le manque, l’usure, les erreurs et les échecs de cette vie nouvelle qui s’offre à eux. Prise de risque assumée contre vents mauvais et marées basses. Mais on parle, on se parle, on explique, on s’explique, on reprend, on comprend, ou pas. Paroles consolatoires, paroles jubilatoires. Et le temps ne fait rien à l’affaire qui file, érode, trente ans soudain, qui les retrouve comme au premier jour, avec le même étonnement. A se dire qu’ils se sont aimés, qu’ils s’aiment et que la mort de Stéphanie, qui rôde là, n’abîmera pas cet amour si évident et devenu absolu.

Denis Lachaud signe un remarquable texte de par sa teneur littéraire et son sujet, si peu usité au théâtre. Les amours de cinquantenaires, les battements du cœur, même fatigué, qui n’épargnent pas ceux qui atteignent cette rive et prennent le risque de recommencer. Portraits subtils et sans préjugé, troublant de justesse et de vérité qui n’épargnent rien de cette difficulté à aimer après avoir aimé, que vous hantent insidieusement vos premières amours, que le temps vous est désormais compté.  Qui dit sans détour que, oui, les hommes amoureux sont fragiles et que sont fortes les femmes qui aiment. On songe curieusement ici à Aragon où les femmes seraient l’avenir de l’homme. Parce que pour citer un autre poète, Alain Souchon, « la faiblesse des hommes, elles savent ».  Denis Lachaud a cette écriture ample, tranchante et précise, dégraissée de tout effet, théâtrale oui dans ce qu’elle a de provocante, rien de scandaleux, mais au sens performatif. Où les personnages semblent tout autant dialoguer que réfléchir à voix haute, voire bégayer, sans oublier d’appliquer au mieux, plus ou moins, ce qui est énoncé de façon péremptoire. Jubiler, c’est avant tout une parole fleuve, un dialogue monstre, ininterrompu, haletant on peut dire ça, qui semble faire fi du temps et de ses aléas, aboli en quelque sorte. En somme le dialogue d’une vie.

Pierre Notte ne s’y est pas trompé qui s’empare de cette écriture incisive et de son rythme, avec un bonheur évident. Une mise en scène comme un long plan séquence, sans temps mort, oublieux du temps qui passe, épousant cette parole fleuve qu’il n’interrompt jamais. Sauf pour quelques incises, une voix off faisant le point de notre histoire où Pierre Notte, non sans malice, imiterait François Truffaut. Une mise en scène qui déménage, au sens premier du terme. Canapé, chaises et guéridon, tout ça ne cesse de changer de place, les vêtements de s’éparpiller, les gestes de se répéter, mécaniquement, absurdement, sans jamais rompre le fil du dialogue mais exprimant là sans doute autant les inquiétudes, les questions, l’absence de réponses aussi, la fébrilité des corps de ces deux transis que le temps véloce et parfois assassin glissant sur eux sans qu’ils n’en prennent garde ni s’en rendent compte, tout entier à leur discours amoureux. Et puis ça et là quelques détails, des petits riens qui disent tant, qui disent bien plus. Ainsi Pierre Notte joue des contrastes, entre la trivialité toujours menaçante du quotidien et ce dialogue, ce texte sans que le second ne soit entamé par le premier mais au contraire le sublime. Ce que souligne Pierre Notte, fin lecteur, ce que dit Denis Lachaud c’est que le temps du discours amoureux n’est jamais le temps réel. A cinquante ans, il y a urgence. Et c’est cette urgence-là, celle d’aimer et de le dire, que l’on ressent sur le plateau. Par la grâce de cette mise en scène et de ces deux comédiens, Judith Rémy et Benoit Giros qui, dirigés au cordeau, tous deux tout simplement remarquables dans cette comédie, c’en est une oui, jubilatoire. Dans ce manège amoureux où l’enchantement le dispute à la désillusion redoutée, ils parcourent avec bonheur et pour le nôtre une carte du tendre revisitée, inédite. Jubilons !

 

© Pierre Notte

 

Jubiler, texte de Denis Lachaud

Mise en scène de Pierre Notte

Avec Benoit Giros et Judith Remy

Lumières Eric Schoenzetter

Costumes Sarah Leterrier

Régie générale / Plateau Alexandre Mange

 

Représentation donnée à la presse le 28 janvier au Théâtre de la reine blanche, 2bis passage Ruelle, 75018 Paris

 

Tournée

Juillet 2021 Artephile, Avignon

 

 

 

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