À l'affiche, Critiques // J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Chloé Dabert, Comédie Française / Théâtre du Vieux Colombier

J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Chloé Dabert, Comédie Française / Théâtre du Vieux Colombier

Jan 30, 2018 | Commentaires fermés sur J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Chloé Dabert, Comédie Française / Théâtre du Vieux Colombier

 

 © Christophe Raynaud de Lage, collection Comédie-Française

article de Théodore Lacour

 

Qu’est ce qui fait que l’on décide de monter ce texte de Jean-Luc Lagarce, paru en 1995, en pleine hécatombe du sida ? En quoi cette langue – au demeurant magnifique – nous touche et nous donne à entendre une part universelle du monde, de notre monde, de nos affres et de nos beautés ?

C’est bien ce dont nous aimerions avoir une sensation en sortant du Théâtre du Vieux Colombier après une heure et demi d’un texte précis, découpé au scalpel et dont les mots pourraient tomber comme les derniers instants d’une vie qui s’éteint.

Une scénographie – plutôt un décor – clinique, impeccable non sans rappeler l’univers hôpitalier mais qui surtout marque une sorte de neutralité. Quelque chose d’un papier glacé pour un texte magnifiquement chargé de sens et de niveaux de résonnances multiples. On se dit qu’avec un décor pareil la metteure en scène a choisit de défendre l’idée que le personnage unique et principal c’est le texte ; ces mots qui tissent pas à pas, à coup de répétitions, de circonvolutions, de précisions, des rapports humains, des relations à soi et au monde et cela au delà même d’une fable qui sert de support à cette parole action.

Une parole en spirale qui revient toujours sur les mêmes questionnements : celui d’un devenir après le départ du fils, du frère et de son absence – celui d’un devenir dans la mort qui s’annonce – celui de la mémoire qui se rejoue, qui s’altère et se réinvente sans cesse dans l’univers clos ou presque de ces 5 femmes autour de cette figure masculine de l’enfant parti qui revient… mais qui revient déjà presque mourant finir ces jours ici.

Cet événement, cette déflagration va donner parole à ces figures de femme comme si chacune peut alors trouver une place face au tragique de leur existence.

L’événement c’est la parole et ce qu’elle devrait creuser en nous. Mais cet événement-là n’a lieu qu’à de trop rare moment pour que nous soyons déplacés nous aussi dans la salle – que nous ressentions cette déflagration, ce coup de feu que l’arrivée de cet « être à mourir » devrait nous infliger – cette déflagration n’a point lieu sans doute parce que le travail sur le texte nous semble se borner à une re-contextualisation plus qu’à une plongée dans sa poésie, dans son écriture.

Nul doute qu’un travail a été opéré mais – hormis pour Clotilde de Bayser en magnifique mère – il ne semble pas produire sur ces actrices le déplacement nécessaire qui nous donnerait le plaisir de voir apparaître la femme, l’être sous le « personnage ». En lieu et place apparaît une superbe diction, une intelligence des propos, une justesse des rapports, une volonté de concret mais pas de poésie donnée par la langue.

Pourquoi demander à Suliane Brahim qui interprète l’ainée de parler si fort, de projeter sa voix si loin, la mettant pour nous, comme hors d’elle et de sa poitrine, de ses frissons et de ses propres sensations.

Pourquoi proposer à Rebecca Marder de hurler la plupart de son long monologue ne laissant pas cette écriture la « creuser » et faire émerger de là une rage, une rancœur, un désespoir.

Pourquoi demander à Cécile Brune de camper presque le rôle d’une bourgeoise alors même que l’univers de Lagarce en appelle à tout autre chose situant ces personnages au milieu d’une ruralité et d’une vie âpre des zones désertées de la campagne française non sans rappeler son bourg de naissance coincé entre Montbéliard et Belfort.

Pour parfaire le tout, un choix de bande son qui souligne le tragique, donne à entendre des découpages en scènes ou viendrait comme pour créer une respiration : mais il nous semble que l’air entre ces femmes devient irrespirable, l’étouffement d’un entre soi nauséabond de perte et de désespoir, de vie à attendre – presque toutes le crient – de misère. Et la pièce peut enfin se terminer lorsque la mère ouvre vers le dehors la porte par laquelle une vie pourrait peut-être s’engouffrer après que la mort ait tout révélé de ces êtres, ait ouvert la boîte de Pandore si longtemps contenue. Alors l’air irrespirable se chargerait enfin d’un peu d’oxygène…

Pourquoi choisir ce texte et cette forme d’écriture si on passe son temps à l’éviter ? On assiste à une construction certes intelligente mais en lieu et place d’une secousse sismique chez toutes ces figures de femme, d’actrices, d’êtres traversés que pourrait produire cette écriture : c’est dommage !

 

J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne

Texte  Jean-Luc Lagarce
Mise en scène  Chloé Dabert

Avec  Cécile Brune, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jennifer Decker et Rebecca Marder

Scénographie  Pierre Nouvel
Costumes  Marie La Rocca
Lumières  Kelig Le Bars
Musique  Lucas Lelièvre
Collaboration artistique  Sébastien Eveno

Du 24 janvier au 4 mars 2018
Durée : 1h30

Théâtre du Vieux Colombier / Comédie Française
21 rue du Vieux Colombier
75006 Paris

Réservations : 01 44 58 15 15

www.comedie-francaise.fr

 

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