À l'affiche, Critiques // Jérôme Bel, de Jérôme Bel, Théâtre de la Ville / Espace Pierre Cardin

Jérôme Bel, de Jérôme Bel, Théâtre de la Ville / Espace Pierre Cardin

Nov 05, 2017 | Commentaires fermés sur Jérôme Bel, de Jérôme Bel, Théâtre de la Ville / Espace Pierre Cardin

© Hermann Sargeloos

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

 

Il y a vingt-deux ans Jérôme Bel, nom de la création au titre de manifeste, signature d’une affirmation personnelle, mettait la danse à poil, cul par-dessus tête. Acte performatif radical où il était vain de chercher la danse au sens traditionnel où nous l’entendions lors de sa représentation. Un coup de pied salutaire et opportun dans la fourmilière. Le revoir aujourd’hui, après The Show must go on ou plus récemment Gala, est un choc. Rien, absolument rien n’a pris un coup de vieux sauf peut-être, et pour le meilleur, les danseurs. Jérôme Bel, le chorégraphe, met à nu et en avant les corps, la représentation réduite à des actions simples, dépouillées de toute référence autre que ces quatre corps dénudés, référencés (nom, prénom, âge, poids, taille, solde de leur compte en banque) dans un premier temps avant d’être minutieusement auscultés et chaque caractéristique marquée au rouge à lèvre à même la peau. Le corps est soumis à l’analyse factuelle de sa réalité. La chair est frappée, malaxée, triturée. La peau est étirée, rougie, elle claque, transpire. Rien n’est oblitéré, des bourrelets aux poils. Rien n’est oublié des fonctions organiques, de la salive à l’urine. Le corps social est déconstruit, rendu à sa trivialité première. Un corps palimpseste réduit au signe, signifiant et signifié de lui-même. (A cet égard il est troublant de constater que vingt ans après, Gala est son antithèse complémentaire et souligne la logique d’une démarche qui partant du degré zéro de la danse, voire son anéantissement, réassigne à la danse sa fonction sociologique première dans la création, l’invention de soi hors des codes et des corps formatés au sein d’une institution qui les exclue.) De l’enseigne Christian Dior tatouée au rouge à lèvres sur la jambe et bientôt effacée pour partie ne reste que quelques lettres qui font le mot chair. Rien d’autre donc. Rien d’autre qu’une présence purement organique et fragile. Le corps, la chair, unique matière d’une performance qui réduit la danse et ses artefacts à néant. Jérôme Bel transgresse en faisant le vide, dépouille le plateau de toute dramaturgie, une ampoule pour tout éclairage, Jean Sébastien Bach chantonné en live, nulle action, nulle performance autre que l’exposition de ces corps dans leur trivialité, en rupture avec les codes de la danse (ceux-là même que nous découvrirons avec les trois performances/portraits d’interprètes Cédric Andrieux, Véronique Doisneau et Pichet Klunchun and myself que l’on peut considérer, avec le recul, comme la suite logique d’une même interrogation). Jérôme bel posait là et pose encore obstinément cette question des codes de la danse, les déplaçant, en remettant en son centre sa matière première même, le corps. Un corps qui ne soit pas institutionnel mais effrontément débarrassé de toutes contraintes, affranchis des regards normatifs. En somme subversif et transgressif. Jérôme Bel, cette création, est jubilatoire encore aujourd’hui, même détachée de son contexte, parce qu’elle ouvre la danse et la performance, la déplace, vers une brèche salutaire, un accès « à tous », les futurs amateurs de Gala ou bien vous et moi, passant outre la forme imposée abstraite aperçue dans les Portraits,  pour une liberté frondeuse. Avec Jérôme Bel le corps, un corps brut et concret, reconquiert le plateau débarrassé des oripeaux d’une danse sclérosante et facilement élitiste que le chorégraphe piétine avant plus tard de s’en emparer pour un joyeux chamboule-tout (Gala) tout aussi subversif par la torsion, le détournement qu’il opère dans le champs de la danse contemporaine livrée à des amateurs (qu’on ne s’y méprenne, il n’y a là aucun mépris dans ce terme). Mais il fallait en passer par là, par ce dépouillement, cette déconstruction méthodique, qui ne manquait à l’époque ni de culot ni de pertinence. L’objet est certes aujourd’hui moins scandaleux, moins audacieux au regard de ce qu’il a essaimé, mais il demeure pour lui-même et pour aujourd’hui une formidable création, intelligente et sans manière, un acte performatif et subversif qui ne manque pas d’humour et dont l’intention et la portée, explosives à l’époque, sont encore vivace.

 

Jérôme Bel, un spectacle de Jérôme Bel

Avec Éric Affergan, Yair Barelli, Michèle Bargues, Claire Haenni, Frédéric Seguette

Du 2 au 7 novembre 2018
Lundi, vendredi et samedi à 19h
Mardi, jeudi 20h30, dimanche 17h

Théâtre de la Ville / Espace Cardin
Studio
3 avenue Gabrielle
75008 Paris

Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

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