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Je suis le vent, de Jon Fosse, de et avec Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning, Théâtre de la Bastille

Juin 16, 2021 | Commentaires fermés sur Je suis le vent, de Jon Fosse, de et avec Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning, Théâtre de la Bastille

 

© Tim Wouters

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

L’Un et l’Autre sont dans un bateau. L’Un tombe à l’eau…

Je suis le vent, texte de Jon Fosse ou l’histoire d’une amitié, d’une vie qui tangue et roule. Mais comme toujours avec cet auteur et comme toujours avec tgSTAN et Maatschappij Discordia, c’est un peu plus compliqué et tordu que ça. Sur cette barque suspendue entre ciel et mer que figurent deux chaises sur un plancher encombré de quelques bouteilles de bière, d’eau, d’un marteau, de cordes, et un mystérieux carton suspendu lui aussi, avec pour seul horizon une bâche de toile rêche, actant de fait l’imaginaire de cette escapade préconisée par l’auteur, c’est un dialogue ressassé, déchiré de silence. Et dans ce silence-là, bientôt assourdissant, c’est toute une humanité en souffrance qui s’engouffre. En costume noir et souliers vernis, tenues des plus incongrues pour ce voyage au bout de l’existence pour l’Un, déjà mort sans doute, ces deux racontent le monde et sa détestation, la solitude partagée et le désespoir. Et cette amitié qui a su résister à tout, malgré tout, malgré l’absence, malgré la mort de l’Un, parti avec le vent, devenu le vent après ce plongeon volontaire et fatal dans l’eau glacée. Et ils sont formidables Damiaan De Schrijver et Mathias de Koning. De complicité et d’admiration réciproque, ça se voit, ils l’affirment en préambule, ce qui donne à leur jeu une autre dimension, qui déborde de la théâtralité et de la fiction pour approcher et offrir une vérité bien plus troublante. Et de cette écriture dépouillée, à l’os, ardue de Jon Fosse, ils tirent à bas-bruit et sans manière aucune, avec une étrange douceur voire ironie, des notes et des variations inattendues et d’une profondeur bouleversante. Conversation devenue presque banale ici où Jon Fosse perd de ce mystère souvent entretenu pour une lecture radicale de simplicité et de limpidité, lumineuse. Et dans les silences et les vides abrupts qui ponctuent cette conversation désespérée, plus camusienne osons l’affirmer qu’existentielle, le poids d’une vie et son absurdité éclate avec fracas. Et la force de cette création, encore une fois avec ces deux compagnies réunies pour le meilleur, c’est d’amener les spectateurs à eux, simplement, oblitérant toute distance entre le plateau et la salle qui semblent ne plus faire qu’un seul lieu pour un unique dialogue, un échange d’une fragile et délicate intimité. Dans cette barque menacée par la tempête nous sommes promptement embarqués. Parce qu’au fond, nous sommes tous dans le même bateau, l’Un, l’Autre et Nous donc. C’est d’autant plus flagrant que, soudain, passant sans façon du néerlandais au français sans nul doute ils tranchent définitivement le seul lien qui pouvait faire obstacle à cet embarquement. Et comme à leur habitude et comme ils le firent avant que ne commence la pièce, glissant imperceptiblement de l’apostrophe au public au jeu, la frontière devenant si ténue, c’est avec un dialogue avec le public qu’ils concluent naturellement pendant que derrière eux et comme une évidence dans un train-couchette se débattent Laurel et Hardy…

 

© Tim Wouters

 

Je suis le vent de Jon Fosse

De et avec Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning

Costumes Elisabeth Michiels

Images Damiaan De Schrijver

Régie Tim Wouters

 

 

Du 4 au 26 juin 2021 à 19 h

Relâche les dimanches et lundis

 

Théâtre de la Bastille

76 rue de la Roquette

75011 Paris

 

Réservations 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com

 

 

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