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Je sentais venir la tempête, écriture et mise en scène collective d’après Federico Garcia Lorca, présenté au Théâtre de Belleville, Paris

Mar 11, 2025 | Commentaires fermés sur Je sentais venir la tempête, écriture et mise en scène collective d’après Federico Garcia Lorca, présenté au Théâtre de Belleville, Paris

 

© Thierry Decrozant

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette

Comment dire, on arrive dans cette petite salle, on voit déjà sur scène les décors, une table et des rideaux, de longues formes rectangulaires en somme, du tissus rose, sérieux pourrait-on dire et un étrange « Whaou, je vais aimer !!! » résonne déjà. On se moque un peu de cette auto-idiotie, penser une chose pareille, avoir l’impression que… alors qu’à droite et à gauche, en pleine lumière, on discute encore du temps qu’il faisait cet après-midi en Charente-Maritime.

Et puis une heure après, ou un peu plus, on revient de loin, scotché, pas d’autre mot, peut-être a-t-on vu le plus beau spectacle de l’année, Je sentais venir la tempête ? Nous sommes en mars, certes, et il reste encore un peu de temps pour changer d’avis, mais tout de même. Pourquoi chercher à restreindre, dissimuler ce plaisir, cette émotion, ces coups pourrait-on dire aussi, que l’on vient de recevoir ? Devant nous cinq femmes, cinq sœurs qui s’aiment, ne s’aiment pas, se battent, se cherchent, recherchent, rient et pleurent. Cinq femmes qui jouent et chantent. Et, de temps en temps, le fantôme d’une mère, sa voix, une mère n’ayant pas oublié d’emporter dans l’Au-delà toute son aigreur, ses menaces et son désamour, libre adaptation réussie de La maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca.

Cette mère a été terrible apparemment, destructrice même. Elle semble avoir voulu donner à ses filles une image terrible de l’extérieur. Elle les a enfermées, tout est danger, péché hors des murs sombres de leurs chambres, où juste la couture et la broderie restent envisageables. Ainsi la discussion, sans fraîcheur bien entendu, sinon ce n’est pas drôle. Adela, Martirio, Amelia, Magdalena et Angustias Benavides passent leur temps à se pincer, plus ou moins discrètement, plus ou moins fort, pour qu’aucune puisse s’enfuir, se sauver. Une des cinq pense blanc, quatre autres lui tombent dessus, du noir plein les bras. Les hommes sont pour elles à la fois une faute immense, merci Maman, un danger, et la seule éventualité de pouvoir s’enfuir de cette prison. L’argent est une arme, une clé. Angustias semble avoir hérité plus grassement que les autres, donc c’est une ennemie à vaincre. Adela met une jolie robe verte presque sexy, et non du brun terne, foncé, moche ? Elle semble vouloir fuir, se libérer ? Elle risque d’y parvenir ? Ses sœurs s’unissent et font tout pour qu’elle se casse la figure, se perde. Amour et désamours. Union et désunion. Le tout à la maison, couture sempiternelle.

Ces cinq sœurs forment à la fois un clan et cinq armées. Elles ont une image des hommes sombre et vraie : belles et princesses tant que rien n’est signé, et une fois l’argent, les terres récupérés, poubelle, façon Marie Stuart. Elles veulent la même vie terrible que leur grand-mère et la liberté en même temps. Elles rêvent. Se racontent le lynchage de celle qui a tenté plus de liberté, elles la maudissent, jalouses de n’avoir pas essayé avant.

La répétition illustre le passage des heures, des journées, des années pourquoi pas. Elle cogne et use. Ces sœurs veulent des hommes, elles veulent fuir une certaine normalité cruelle et s’y plongent. Quand une sœur parle d’elle, les autres apparaissent cachées dans leurs chambres, silhouettes effacées par les rideaux immenses. Une des sœurs s’ouvre, les autres restent sombres, furies noires. Et ainsi de suite, chacune son tour. Les unes contre les autres, les unes avec les autres. Le danger. Je sentais venir la tempête… Elles sont captives, on pourrait imaginer qu’elles s’unissent pour tenter de fuir, pour tenter de survivre. Cela semble impossible. Elles sont sœurs, oui, et alors ? Elles sont avant tout dans un combat gigantesque, foncent dans le mur en hurlant qu’elles ne veulent pas foncer dans le mur.

Les filles Benavides chantent, jouent, se battent. La musique est aussi prenante et magique. Le texte est parfois répété en espagnol. On n’est pas au théâtre, nous sommes un petit oiseau et on regarde des femmes, là, devant nous, des femmes chez elles. Elles ne voient rien, elles nous font peur, se détruisent pour éviter d’être détruites. Je sentais venir la tempête est sombre, surpuissant. C’est un mélange de finesse extrême et de morbidité. La mort est partout, combattue et souhaitée.

Ces comédiennes, créatrices de ce spectacle, se ressemblent, ici où là, sont-elles sœurs ? Ce ne sont pas des comédiennes mais de vrais personnages de Lorca. Pendant une heure et dix minutes, presque. Lorsqu’on les croise ensuite, à nouveau dans le hall, leurs visages sont différents, ne font plus peur. On ne les reconnaît plus, elles nous ont emmené si loin. Bravo

 

© Thierry Decrozant

 

Je sentais venir la tempête, écriture collective d’après Federico Garcia Lorca

Texte, mise en scène et interprétation : Sophie Anselme, Julie Duquenoÿ, Claire Marx, Ruthy Scetbon, Ana Torralbo

Avec la voix d’Estelle Meyer

Scénographie : Suzanne Barbaud

Création sonore : Julie Duquenoÿ

Lumières : Noémie Richard

Costumes : Marion Duvinage

Regards extérieurs : Alix Kuentz et Elise Roth

 

Du 3 au 25 mars 2025

Durée : 1h10

 

Théâtre de Belleville

16, Passage Piver

75011 Paris

 

Réservation 01 48 06 72 34

Adresse du site email : www.theatredebelleville.com

 

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