© Pascal Gely
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Duel au sommet et duo jubilatoire ! Je ne vous aime pas, nous si… Une comédienne, ex du Français, pour un projet dont on ne verra rien, visite la salle, salle des fêtes et bureau de vote à l’occasion, ancienne salle paroissiale faisant office de théâtre… « Évidemment on est très loin de la Comédie Française. » La bombe est lâchée, la guerre est déclarée. L’élue programmatrice mal embouchée, fière de son lieu, fière d’avoir réussi à engager pour une création contemporaine malgré l’opposition du nouveau conseil municipal qui aurait sans doute aimé un humoriste et des amateurs locaux qu’une vedette parisienne, n’apprécie pas, mais pas du tout… L’artiste fait la gueule, use de son statut de comédienne reconnue, sans doute surestimée, renâcle… L’élue courroucée ne lâche rien, remet sans prendre de gants ni de manière la dame à sa véritable place, une has-been, défend son lieu, refuse toutes concessions qui n’est que caprices. Y’a de la haine et du ressentiment. Chacune retranchée dans ses certitudes, son mépris, ses incompréhensions, sa propre caricature campe fermement sur ses préjugés. Paris contre la province, le subventionné, la décentralisation, les tutelles, la création, les pros et les amateurs… Très vite on devine derrière tout ce ressentiment rance, cette amertume concentrée un lointain contentieux, anguille sous roche. Les masques tomberont.
Un dialogue au vitriol, vachard, une écriture acérée comme un stylet, jouissive, Pierre Notte signe là un petit chef d’œuvre enlevé férocement drôle et grave tout à la fois, fort réjouissant. Mais ce duel où les vacheries volent en escadrille n’est pas qu’un exercice de bile crachée pour le plaisir du spectateur. Derrière tout ça, derrière ce verbe précis, c’est aussi la confrontation entre deux mondes, deux conceptions du théâtre. Vue d’en haut, Paris, vu d’en bas, la province, « les territoires oubliés », ruraux, qui font ce qu’ils peuvent, luttent les mains quasi vides mais la conviction chevillée. Et puis ceux qui veulent faire acte de création, ceux pour qui ce n’est que loisir, ceux pour qui tout ça ne sert à rien. Pierre Notte, à l’initiative de Marianne Wolfsohn fait sa pelote de tout ça et comme nos deux personnages dit ses quatre vérités sur la grande famille du théâtre. Les Atrides en somme. Et ils sont là, les oubliés, les petits, les obscurs et les sans grade de la décentralisation. Furtifs ils s’immiscent dans ce dialogue incendiaire et sans trêve entre la programmatrice et l’actrice. De vraies paroles de vrais gens, « Paroles données », celles d’habitants de Picardie recueillies par Marianne Wolfsohn et dit par elle, en incise dans cette bataille menée drument par nos deux belligérantes. Une façon de remettre avec justesse les pendules à l’heure dans cette bataille d’ego.
Nathalie Bécue, revêche, Silvie Laguna, condescendante, dirigée au plus près, sont absolument magistrales dans ce dialogue à couteau tiré. Sans jamais surjouer mais toujours dans la situation, campées sur leurs ergots, cramponnées à leurs égos, elles s’envoient paître sans manière, sans circonvolution. C’est brutal et hilarant. On rit franchement, on rit jaune aussi. Et dans cette mise en scène qui ne s’embarrasse pas de détails inutiles, au plus près de ses comédiennes, cette querelle devient guerre épique. Nathalie Becue, en terrain conquis, c’est son lieu, Sylvie Laguna hors-sol, joue de leur opposition avec maestria, creusant avec rage leur différence cultivée avec soin, luttant pour s’imposer, ne renonçant pas. Et quand sonne l’armistice, qui n’est pas la paix, on dépose les masques, on arrête la représentation donnée à soi-même et à l’autre, et la vérité nue, la fragilité des êtres, leur mesquinerie aussi, apparaît au milieu de ce camp retranché qu’est devenu le plateau, dans toute son ambiguïté. Ce n’est pas pour autant que l’on fait pleurer Margot dans sa chaumière. C’est la grande subtilité de Nathalie Bécue et Silvie Laguna de jouer ainsi, de retourner sans crier gare et promptement les situations. Et nous qui étions si bien installés dans ce champ de bataille sanglant, sans vainqueur ni vaincu, en sommes pour nos frais.
© Pascal Gely
Je ne vous aime pas de Pierre Notte avec la complicité de Marianne Wolfsohn
Mise en scène de Marianne Wolfsohn
Assistante mise en scène Ophélie Koering
Coach action François Rostain
Lumières Élodie Tellier
Costumes Donate Marchand assisté de Emmanuelle Huet
Avec Nathalie Bécue, Silvie Laguna, Marianne Wolfsohn
Du 03 au 28 mars
Du mardi au samedi à 21 h
Théâtre Les Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs
75001 Paris
Réservations 01 42 36 00 50
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