Paroles d'Auteurs // « Je meurs comme un pays » de Dimitris Dimitriàdis

« Je meurs comme un pays » de Dimitris Dimitriàdis

Jan 05, 2010 | Aucun commentaire sur « Je meurs comme un pays » de Dimitris Dimitriàdis

Lecture de Bruno Deslot

L’antique malédiction

Dans une Grèce, écrasée par le poids de la dictature des colonels, le cri du peuple s’élève contre l’antique malédiction qui perdure dans la douleur extrême d’une complainte funèbre.

« (…) CETEE ANNEE-LA, aucune femme ne conçut d’enfant. », ainsi débute le chant singulier d’un pays à l’histoire plusieurs fois millénaires, sur laquelle pèse la fatalité de l’antique malédiction semblable à celle de Thèbes dans les derniers jours du règne d’Œdipe. Dans une Iliade abandonnée par les dieux, la peste ronge les cœurs, la terreur règne dans les rues de cette ville où les enfants ne jouent plus, où les femmes plusieurs fois violées, portent le deuil de leur descendance en exhumant les restes d’un passé fantomatique. Malade, maudite, inféconde, la citadelle expire dans l’inextricable douleur de la soumission. Ici, la Grèce des Mythes et de l’Histoire se heurte dans un chaos bruyant, où les mots sont utilisés comme une arme, où la haine contre un pays gangrené jusqu’à la moelle, dominé par le pouvoir subversif et perverti, s’achemine vers la catastrophe pourtant déjà annoncée. La stérilité des femmes, « bien enfoncée dans leurs entrailles », fait obstacle aux renouvellement des générations. Les hommes armés, asservis et soumis à la violence de la guerre, violent, tuent, dérobent et obéissent aux pulsions dévastatrices d’un peuple en déliquescence. Les corps brûlants, se déchaînent à la hâte, pénétrés par une semence impure qui se répand sur la patrie moribonde. L’idée même de nation a disparu et avec elle, un pays qui n’a plus de nom.

La puissance poétique de l’horreur

Dimitris Dimitriàdis brille par l’élégance de son style, d’une densité et d’une richesse linguistique, absolument remarquable. La cruauté du verbe, mêlé à un champ lexical choisi, file la métaphore de la douleur et de la dévastation d’un pays qui se meurt. La langue grecque se trouve stratifiée par une écriture visionnaire et violente qui crée une fusion littéraire exceptionnelle. L’insoutenable barbarie côtoie, sans pudeur, la transcendance et la guerre civile se fait l’écho des guerres antiques dans une pathologie du désespoir. C’est avec toutes les douleurs de la Grèce, depuis Andromaque, que l’auteur puise la source de ce thrène particulièrement singulier, comme si la langue était devenue un pays dont personne ne se souvient du nom. Dans une quête passionnée, submergée par l’ombre de l’Histoire, seule la beauté et le désir de l’écriture, sauvent de l’horreur. Ce poème fleuve, charriant des mots brûlants et dévastateurs, sort de son lit comme un Scamandre en furie. L’horreur du propos presse un sentiment vital d’espoir et de rébellion tout en dépassant la pitié selon un procédé qui relève de la « catharsis ». Révélé en 1978 par Patrice Chéreau, Dimitris Dimitriàdis ne cesse de fasciner ses contemporains par la richesse de ses compositions dont Michel Volkovitch nous livre ici, une traduction puissante et émotionnellement abrasive. « Je meurs comme un pays », un poème, un chant, un monologue, une complainte autant de formes possibles pour une œuvre qui n’inspire ni l’emphase, ni la pitié mais quelque chose de salutaire et de définitivement vital.

Je meurs comme un pays
De Dimitris Dimitriàdis
Traduit du grec par Michel Volkovitch

Les Solitaires Intempestifs
1 chemin de Pirey, 25000 Besançon

www.solitairesintempestifs.com

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