© Rosa Frank

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Je me souviens. Nous nous souvenons de Raimund Hoghe, chorégraphe et danseur unique dans le paysage si vaste de la danse contemporaine. Nous nous souvenons de ses pièces sensibles et délicates qui à chaque fois nous bouleversent par leur singularité de ton, leur bluffante inventivité, leur radicale simplicité, leurs propos engagés et compassionnels et jamais mièvres. Raimund Hoghe a toujours fait œuvre de mémoire. La mémoire, cœur battant de son œuvre, qu’il ne cesse de réactiver par des rituels obstinés et délicats, des colères têtues adoucies par des images foudroyantes de simplicité et de justesse, même dans leurs simples esquisses comme autant de signes ouverts sur une vérité encore à déchiffrer, et la scène comme un espace mémoriel où errent les fantômes amicaux de Raimund Hoghe, anonymes ou célébrités, migrants ou la Callas, tous broyés par un système, vaincus, ombres extirpées de l’enfer et de l’oubli des hommes par ce chorégraphe, ce danseur qui porte en lui le souvenir sans nostalgie, jamais, de ceux qui furent, de ceux qui sont et seront. Avec Raimund Hohe, le particulier et l’universel se rejoignent, le plateau devient le point d’intersection, le pôle réfléchi d’un monde amnésique qui bascule, amnésie à laquelle Raimund Hoghe ne peut se résoudre. Je me souviens n’est pas une anthologie. C’est un palimpseste. Les fragments d’une vie, les fragments d’une œuvre comme fils conducteurs d’une nouvelle création nourrie des précédentes. Raimund Hoghe de nouveau interroge le monde à l’aune du souvenir, mais par l’évocation parcellaire de son œuvre propre et des lieux traversés, et ce qui frappe c’est la pertinence, la cohérence de l’ensemble. Cet enchaînement d’instants, voire d’instantanés, d’une beauté sèche, dégraissée de toute afféterie, d’un humour désespéré et heureux, sont une œuvre en soi, laquelle évoquerait certes des souvenirs, parfois ténus, de ce que nous vîmes, mais soigneusement détachée, débrochée des œuvres précédentes devenues la matrice d’une nouvelle création. Ce rituel-là s’invente, toujours renouvelé, autour des plateaux arpentés par Raimund Hoghe. Ce n’est pas que son œuvre qui est interrogée, ni seulement en regard le monde, mais également les lieux où naissent et s’épuisent les créations. Des lieux comme autant d’univers friables et fragiles, éphémères dont les murs peuvent contenir, le temps d’une représentation et de son souvenir, tout le tragique du monde, murs éclaboussés de mémoires que Raimund Hoghe, médium, fait doucement bruire. Sur ce plateau nu recouvert d’une fine couche de sable sur lequel se déposent les traces éphémères de cette cérémonie mémorielle, les mains posées sur les murs, il puise là sans doute à la source de ce qui va sans doute insuffler, inspirer sa danse, absorber à son tour son œuvre, s’inscrire dans la continuité des lieux. Je me souviens est une expérience unique, forte, de faire se rencontrer, de contenir la mémoire d’un lieu, la mémoire d’un artiste et la mémoire du monde par lui invitée, exprimés pour en tirer tout le suc comme on presse un fruit doux-amer. Je me souviens n’est pas un acte nostalgique. C’est une force vive qui ne dit rien d’autre que la mémoire, même résiduelle, est le cœur palpitant de toute création parce qu’elle nourrit cette création et lui assure sa pérennité, l’inscrit dans une continuité. Je me souviens c’est la mémoire de demain, une invitation formidable à vivre, à danser le présent.

Je me souviens  concept, chorégraphie et danse  Raimund Hoghe

Collaboration artistique  Luca Giacomo Schulte
Artiste invité  Emmanuel Eggermont
Lumières  Raimund Hoghe, Amaury Seval

26 et 27 juin 2017 à 20h30

CND
Centre national de la danse
1 rue Victor Hugo
93507 Pantin

M° Hoche (Ligne 5)
Réservations 01 41 83 98 98

www.cnd.fr

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