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J’ai rêvé la Révolution, de Catherine Anne, au Théâtre de l’épée de Bois – Cartoucherie de Vincennes

Mar 03, 2020 | Commentaires fermés sur J’ai rêvé la Révolution, de Catherine Anne, au Théâtre de l’épée de Bois – Cartoucherie de Vincennes

 

© Belamy

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Créée en 2018, la pièce J’ai rêvé la Révolution écrite et mise en scène par Catherine Anne, qui joue également le rôle d’Olympe de Gouges, évoque sa vie et son œuvre en la situant de son incarcération le 20 juillet 1793 au jour de son exécution le 3 novembre de la même année.

Les spectateurs découvrent en entrant dans la belle Salle de Pierre du Théâtre de l’Épée de Bois à la Cartoucherie de Vincennes, un plateau composé de trois panneaux entièrement recouverts de chemises, occupant toute la longueur du fond de scène et les largeurs des côtés. L’effet visuel est très réussi. La signification est plus incertaine : sont-ce les uniformes des prisonniers signifiant leur multitude indifférenciés, tous égaux dans les prisons révolutionnaires ou la métaphore d’enveloppes, vidées de leur contenu, des corps qui se sont évanouis, soit parce qu’exécutés, soit parce qu’ils ont été dépouillés de toute dignité par la rudesse de la condition carcérale et l’irrationalité de leur incarcération, conséquences « d’ordres sauvages » ?

Dans cet écrin, traversé pendant 1 heure 40 de très belles lumières et reposant sur une bande son efficace, le plateau est séparé en deux : à Cour, la cellule avec un lit et un bureau ; à Jardin, le domicile du gardien et de sa mère, avec un lit et une table et entre les deux une cloison transparente et mobile. À ce décor et cette scénographie répond une dramaturgie extrêmement bien rythmée passant d’un espace à l’autre.

L’écriture de Catherine Anne est claire et dynamique, tout comme son jeu. On oublierait même presque que l’on a face à nous une comédienne, tant Olympe semble présente en chair et en os, ne se laissant ni humilier par son gardien (très bien interprété par Pol Tronco) qui aimerait arriver à « la faire taire » en bon « gardien de la Révolution », dès les premières secondes de son entrée dans sa geôle sans parvenir à lui faire rendre ses « armes » (papier et encre), ni décourager par ses conditions d’incarcération qui ont sans doute été plus dures encore que ce que montre la pièce pour introduire la figure de la femme du peuple, illettrée, mère du gardien (magnifiquement interprétée par Luce Mouchel) et personnifiant la solidarité féminine.

La présentation n’est toutefois pas hagiographique. Si nombre de jeunes spectatrices devraient vouloir s’identifier à celle qui s’appelait Marie Gouze jusqu’à son arrivée à Paris, dont tous les combats sont évoqués (de ses revendications féministes, souvent raillées et parfois considérées comme naïves et qui s’étaient notamment matérialisées dans sa Déclaration des droits de la femme diffusée en 1791, jusqu’à son militantisme contre l’esclavage passant par notamment par une pièce de théâtre jouée à la Comédie Française en 1789), sa naïve croyance en la justice, en l’application de la loi, en la raison du peuple, en la force imparable de ses arguments de défense pour son procès à venir, sont intelligemment soulignées.

De même, les ambiguïtés de chacun des personnages sont adroitement présentées : la rudesse du gardien face à sa prisonnière, son machisme et son paternalisme s’exprimant y compris à l’égard de sa mère (« faire la soupe et fermer son bec ») devant laquelle il expose en même temps sa puérilité et sa dépendance ; l’ambivalence de la belle-fille d’Olympe (jouée par la gracieuse Morgane Real), à la fois fascinée et exaspérée par les idées qu’elle développe (certains extraits de ses écrits étant habilement distillés tout au long du spectacle en voix off) et les risques qu’elle prend ; la compassion et la solidarité féminine de la mère du gardien, couplée à ses réflexes de survie, n’hésitant pas à échanger avec la belle-fille contre de la nourriture une complicité avec « la Prisonnière ».

Une professeure de lettres a eu la bonne idée d’emmener ses élèves le soir de première de J’ai rêvé la Révolution, espérons qu’elle soit suivie chaque soir par ses collègues qui peuvent donner ainsi la chance à des jeunes femmes et hommes de découvrir ou mieux connaître toute à la fois une des grandes figures de femme de l’histoire et une anti-héroïne, un instantané immédiatement intelligible du basculement de la Révolution à la Terreur, d’une époque parmi d’autres où les femmes sont considérées comme des « choses », et des diverses formes d’emprises et manipulations des êtres humains entre eux et des idées même les plus nobles, en même temps qu’un joli moment de théâtre.

 

© Belamy

 

J’ai rêvé la Révolution de Catherine Anne

Mise en scène Catherine Anne

Co-mise en scène Françoise Fouquet

Dramaturgie Pauline Noblecourt

Scénographie Elodie Quenouillère

Création costumes Alice Duchange

Création son Madame Miniature

Création lumière Michel Theuil

Maquillage, coiffure Pauline Bry

Assistante scénographie Nathalie Manissier

Assistante son Auréliane Pazzaglia

Assistante lumière, vidéo Anne-Sophie Mage

Construction décors Christian Filipucci

Régie générale Laurent Lechenault

Stagiaire costumes Julie Carol Frayer

 

Avec Catherine Anne, Luce Mouchel, Morgane Real, Pol Tronco

Texte publié par Actes Sud-Papiers

 

Du 27 février au 8 mars 2020

À 20 h 30 les jeudis, vendredis et samedis, 17 h les samedis et dimanches

Durée 1 h4 0

Salle de Pierre

 

Théâtre de l’Épée de Bois –  Cartoucherie de Vincennes

Route du Champ de Manœuvre

75012 Paris

 

Réservation 01 48 08 39 74

www.epeedebois.com

 

 

 

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