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J’ai dans mon cœur un Général Motors, mise en scène de Julien Villa au Théâtre de la Bastille

Avr 01, 2016 | Commentaires fermés sur J’ai dans mon cœur un Général Motors, mise en scène de Julien Villa au Théâtre de la Bastille

Article d’Anna Grahm

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© DR

Le spectacle s’ouvre comme un show à l’américaine dans un vieux saloon. Au micro, un homme présente les nouveaux clients de son label Motown. Sous son impulsion, chacune des recrues s’avance et exécute de son mieux la danse de l’anguille, le déhanchement électrique ou le grain de folie qui le caractérise. Les artistes de Berry Gordy chantent et dansent leur envie d’être quelqu’un sans colère, ni compromis.

La scène d’exposition joue sur la saturation du son et du mouvement, les corps exhibés comme des phénomènes de foire sont cocasses, impétueux et empreints de fierté. Mais très vite, le panache retombe, dès lors que la petite troupe s’installe autour de la table de la cuisine, les personnages perdent leur vernis, leur joie de vivre et leur ascendant sur nous.

C’est dans la cuisine installée sur la paille, que l’hystérie de l’ascension sociale se décompose pour se retourner contre eux. C’est dans la cuisine que les liens intrafamiliaux décousus se désagrègent, gangrénés par la frustration et la misère, c’est dans la cuisine que l’estime de chacun se révèle douteuse voire haineuse. La répétition des humiliations et des vexations, fait régner la confusion, installe un climat pesant et hostile qui devient petit à petit le moteur de l’impuissance créative.

Sur le plateau, des bouts de l’industrie automobile entassés racontent les chaines de production florissantes de Detroit. Le charisme et le sens de la provocation du père de famille symbolisent la volonté farouche de lutter pour l’émancipation, de même son mariage avec une blanche marque sa détermination à casser le racisme. Mais la résistance passive des enfants qui se transforme peu à peu en inertie, dernier rempart à la violence, va rogner l’espace du jeu, et finalement laisser la part belle à l’agressivité, la dualité, la cruauté d’un pouvoir tyrannique.

J’ai dans mon cœur un Général Motors voudrait parler d’un désastre consumé, de Detroit à l’heure des mouvements militants et révolutionnaires noirs, de tout un peuple déçu par la croyance du progrès et désormais livré à lui-même. Mais la complexité du sujet est si vaste qu’elle a été abandonnée et on a le sentiment de regarder toutes les difficultés d’une époque à travers le trou d’une serrure. L’impression qu’il a fallu resserrer la faillite d’un système à une série de clichés sur la domination quotidienne.

La mise en scène de Julien Villa s’en trouve affaiblie, brouillée par les chevauchements de texte et un fouillis indescriptible d’objets hétéroclites, elle s’appuie presque uniquement sur l’énergie des acteurs qui s’époumonent sans parvenir réellement à nous émouvoir. Reste ce miroir tendu d’une ville moribonde qui attend encore désespérément de renaître de ces cendres.

J’ai dans mon cœur un Général Motors
Mise en scène Julien Villa
Dramaturgie Vincent Arot
Avec Vincent Arot, Laurent Barbot, Nicolas Giret-Famin, Clémence Jeanguillaume, Amandine Pudlo, Noémie Zurletti
du 29 mars au 3 avril 2016 à 20h, dimanche à 17h

Théâtre de la Bastille
78 rue de la Roquette – 75011 Paris
réservations  01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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