À l'affiche, Critiques // Ithaque Notre Odyssée 1, inspiré du texte d’Homère, mise en scène Christiane Jatahy, Odéon Théâtre de l’Europe, Atelier Berthier

Ithaque Notre Odyssée 1, inspiré du texte d’Homère, mise en scène Christiane Jatahy, Odéon Théâtre de l’Europe, Atelier Berthier

Mar 20, 2018 | Commentaires fermés sur Ithaque Notre Odyssée 1, inspiré du texte d’Homère, mise en scène Christiane Jatahy, Odéon Théâtre de l’Europe, Atelier Berthier

 

© Elizabeth Carecchio

ƒƒƒ Théodore Lacour

D’emblée Leur Odyssée devient la Notre.
Un dispositif bi frontal mais fermé, séparant le public en deux groupes qui seraient les deux faces d’un même temps où la situation des protagonistes semblent se refléter comme dans un miroir : celui des flots qui séparent ces deux lieux du mythe fondateur. D’un côté ce qui se passe à Ithaque avec le point de vue de Pénélope que les prétendants veulent s’accaparer, de l’autre le point de vue d’Ulysse qui veut s’en retourner vers Ithaque et abandonner l’amour qu’il partage depuis sept ans avec la belle nymphe Calypso.

C’est dans cet univers mélangeant équitablement les genres, les langues, les rôles que nous sommes reçu par les interprètes. Comme nous le propose la mise en scène : elles sont Calypso d’un côté et Elles sont aussi Pénélope de l’autre et sont brésiliennes. Ils sont Ulysse d’un côté et les prétendants à son royaume de l’autre et sont francophones. Cette proposition s’articulant, tout au long de ce parcours singulier, autour de figures duelles comme hommes et femmes, étrangers et autochtones, dominants et dominés, image caméra et hors champs, d’un côté du rideau et de l’autre, être le personnage et être acteur, s’adresser au public et hisser le 4e mur, va très simplement se tisser autour des thématiques de l’amour et de la guerre tout en laissant, comme de l’eau qui nous inonde par capillarité, s’infiltrer une dimension toute politique et contemporaine au travers, notamment, des univers de poésies et chansons autant brésiliennes que francophones.

Nous sommes ballotés, comme Ulysse et sa quête incessante, dans un mouvement de perspectives nouvelles, d’angles de vues surprenants et de relations inattendues au théâtre. Par exemple avec l’utilisation de l’image filmée comme partie intégrante de la proposition. Utilisée pour donner de l’espace au gros plans face aux plans larges que perçoivent nos yeux, pour créer du hors champs, rentrer dans l’intime, donner à l’acteur la place du reporter de guerre, du voyeur, du dominant, elle crée du vertige en nous projetant toujours ici et ailleurs en même temps comme le fait la scénographie et la proposition dans son ensemble. Après ce temps passé, désunis les uns des autres dans nos espaces respectifs séparés par le hors champs de l’intime, c’est comme si la scénographie s’ouvrait depuis celui-ci et nous réunissait dans un face à face qui agit comme métaphore des retrouvailles entre Elle(s) et Lui(s) aux confins d’un long voyage qui est presque un naufrage de nos êtres.

Nous sommes là, échoués, hébétés à contempler une scénographie magnifiquement altérée par le temps de la représentation tel un espace dévasté par les guerres. Et nous rejoignons en cela les paroles de Calypso : « La guerre ne se déclare plus, la guerre est partout ». Ça sera d’ailleurs le dernier toast que les acteurs partageront avec nous. On saluera à ce propos le travail de réécriture. En effet, malgré un texte traité en langage du quotidien et qui pourrait vite apparaître comme plat et ennuyeux, Christiane Jatahy et son équipe ont eu la capacité de maintenir à flot, la force du récit d’Ulysse de bout en bout même si on regrette quelques longueurs vers la fin et quelques inutilités comme le fait de s’excuser régulièrement auprès du public de ce qui se trame sur scène, comme pour mettre en jeu la question de la dualité entre réel et réalité. Nous n’en avons pas besoin car déjà inscrite dans le jeu même des acteurs et de la dramaturgie générale du spectacle. Soulignons ici les présences radieuses, simples et entières des six interprètes autant dans leur communauté que dans leurs singularités. C’est dans leur univers intimes qu’ils nous entraînent avec souplesse et malice.

Et il va nous falloir, comme le dernier mot prononcé par Ulysse à Pénélope avant son départ : du courage, pour sortir affronter le dehors et notre propre Odyssée après ces mots  entendus et qui résonnent si grandement dans les temps agités que nous traversons : « Rien ne va s’arranger, tout va rester comme avant », tant nous nous serions volontiers attardé encore un peu dans ce monde-ci, protégés par la poésie et le sublimé, à contempler les magnifiques lumières brûlant cet espace dévasté et ces corps épuisés et trempés de leur beauté et de leur engagement.

 

Ithaque Notre Odyssée 1, texte inspiré d’Homère

Mise en scène Christiane Jatahy

Avec Karim Bel Kacem, Julia Bernat, Cédric Eeckhout, Stella Rabello, Matthieu Sampeur, Isabel Teixeira

Collaboration artistique, lumière, scénographie Thomas Walgrave
Collaboration création de la scénographie Marcelo Lipiani
Collaboration artistique Henrique Mariano
Création son Alex Fostier
Direction de la photographie, cadrage Paulo Camacho
Costumes Siegrid Petit-Imbert, Géraldine Ingremeau
Système vidéo Julio Parente
Assistance à la mise en scène, traduction Marcus Borja

Du 16 mars au 21 avril
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. Relâche le dimanche 18 mars.
Durée : 2h00

Odéon théâtre de L’Europe
Salle Berthier,
1 rue André Suarès
75017 Paris

Infos et réservations 01 44 85 40 40 du lundi au samedi de 11h à 18h30
http://billetterie.theatre-odeon.eu

 

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