Critiques // « Ithaque », d’après les Chants du retour de l’Odyssée aux Amandiers

« Ithaque », d’après les Chants du retour de l’Odyssée aux Amandiers

Jan 11, 2011 | Aucun commentaire sur « Ithaque », d’après les Chants du retour de l’Odyssée aux Amandiers

Critique d’Anne-Marie Watelet

Incursion dans l’Antiquité grecque avec l’auteur allemand contemporain Bortho Strauss qui ravive les thèmes de la trahison, de la vengeance et de l’honneur.

Inspiré des derniers Chants de l’Odyssée, ce texte rapporte comment, aprés vingt ans d’absence, le héros de la guerre de Troie rétablit sa couronne et sa place auprès de son épouse. Déposé sur le rivage d’Ithaque, sa terre natale, Ulysse est jeté dans le monde humain. Mais Athéna veille sur lui et l’empêche de se faire reconnaître. Ruses et travestissements lui permettent de constater la chute de sa cité, ainsi que les pillages et les débauches des prétendants installés dans sa maison, attendant que la reine Pénélope se décide à prendre un successeur, car tous le croient mort ou disparu. Tous, sauf sa femme qui l’attend désespérément, reculant l’échéance du mariage par des stratagèmes (la mythique toile à re-tisser). Confiant dans les exhortations d’Athéna, il nettoie les lieux en tuant tous les traîtres, après s’être fait reconnaître par les siens.

© Pascal Victor

Dans une réécriture très fidèle aux Chants d’Homère, l’auteur veut éclairer notre présent, dans la mesure où les travers humains – trop humains – inscrits dans ces mythes, et que la civilisation grecque antique condamne comme la plus grande faute, perdurent : c’est la démesure, l’hybris. Elle génère l’orgueil, le refus des limites et donc des règles de l’état, du respect d’autrui. Ce qui est ici représenté notamment par les prétendants.

Une adaptation scénographique qui ménage réalisme, pauses oniriques, et tente d’orienter le propos dans notre monde contemporain.

Bien qu’utilisant le style architectural mycénien, Jean-Louis Martinelli et ses collaborateurs créent un décor épuré afin de nous laisser imaginer un monde plus proche de nous : le palais avec ses colonnes et l’escalier monumentaux en béton ; le mégaron (la salle des convives) avec les éléments symboliques comme la vasque où brûle le foyer, les tables où abondent le raisin et le vin pour les banquets, les armes, puis l’arc mythique d’Ulysse.  Ce vaste espace intérieur gris, baigné d’une lumière douce, contraste avec ce qui évoque le ciel divin, l’Olympe, le monde extérieur : un fond lumineux d’un bleu crépusculaire – comme le temps.

© Pascal Victor

De même, les costumes, trés beaux et de bon ton, jouent sur les deux pôles : si une servante s’adonne à la luxure en tenue légère orientale, si Pénélope s’impose dans un pesant manteau royal, et si Ulysse apparaît un moment en armure, les prétendants, arrogants dans leur perversité, sont, eux, vêtus de façon intemporelle. L’actualisation des idées est marquée symboliquement, par ailleurs, dans les vêtements que portent les personnages de trois générations : le vieux Laërte, son fils Ulysse et le petit-fils Télémaque.
Ces signes demandent une certaine attention de la part du spectateur qui peut simplement se contenter du plaisir des yeux et de la narration.
De belles visions oniriques s’ accordent à la poésie du texte, lorsque la blanche Athéna vole devant l’azur, suspendue à des filins métalliques invisibles ; belle prouesse technique aussi quand la flèche de l’arc, tendu par Ulysse, donne l’illusion de traverser les douze haches alignées.

Scènes d’actions, dialogues et brefs moments d’émotion esthétique se conjuguent dans une mécanique bien huilée. Malheureusement, l’ensemble manque de rythme, alourdi par quelques longueurs ressenties dans les dialogues.

Charles Berling, pâle reflet du héros Ulysse.

Son jeu surprend fâcheusement au début. Certes, Ulysse revient épuisé de son périple, mais cela ne devait pas empêcher le comédien d’articuler, de donner du souffle et de la voix alors qu’il incarne un grand guerrier craint et respecté. Par la suite, il s’acquitte de son rôle avec la profondeur qu’on lui connaît, très juste en mendiant humilié parmi la horde des prétendants, puis tout en tension retenue lorsqu’il prépare sa vengeance.
Ronit Elkabetz est une magnifique Pénélope, tantôt la tête haute, défiant de son regard et de sa voix hautaine son destin de veuve, ainsi que les prétendants à ses pieds ; tantôt gisant dans le désespoir. Toutefois, bien qu’elle articule avec conviction, il est parfois difficile de comprendre ses paroles – cela est-il dû à son accent ? Quelques syllabes se heurtent.
Le jeu et la voix des nombreux comédiens, féminins et masculins, sont justes et dénotent leur expérience théatrale – et/ou cinématographique. On croit voir Laërte et Eumée en la personne de Jean-Marie Winling, tant sa stature et son verbe font vrai. Sylvie Milhaud est émouvante dans le rôle d’Euryclée, pleine d’une expression tourmentée et tendre à la fois. Quant au jeune Clément Clavel qui est Télémaque, son travail de comédien est prometteur. Les trois jeunes femmes « morcelées » – Poignet, Genou et Clavicule, enchantent par leur voix, qu’elles chantent ou qu’elles traduisent les divinités. Enfin, les prétendants festoient et expriment leurs intérêts peu louables avec une verve juste, en fils dénaturés des nobles de la Cité.
Une brève intervention musicale symphonique ajoute de la solennité à la scène de vengeance qui annonce le dénouement, et ce faisant, l’éclairage pâlit, le fond bleu vire au parme.
Jean-Louis Martinelli a su, cette fois encore, créer un beau spectacle, respectant le sens et la portée du texte. Mais son intention de nous amener à réfléchir sur notre « démesure » (désir de réussite quoiqu’en soit le prix, désir insatiable du plaisir, oubli du bien d’autrui et de la justice chez les gouvernants), cette intention, donc, atteint timidement son but. La mise en scène et l’adaptation, faute d’une trouvaille personnelle quant à l’actualisation du propos, ne provoquent pas de sursaut chez le spectateur. Et si notre sommeil n’est pas troublé, il n’en reste pas moins que cette pièce, instructive et agréable, mérite d’être vue.

Ithaque
Texte : Botho Strauss
Mise en scène et version scènique : Jean-Louis Martinelli
Texte français : Pascal Paul-Harang
Scénographie : Gilles Taschet
Costumes : Ursula Patzak
Lumières : Jean-Marc Skatchko
Musique : Ray Lema
Assistante à la mise en scène : Amélie Wendling
Vidéo : Pierre Nouvel
Coiffures, maquillages : Françoise Chaumayrac
Avec : Charles Berling, Ronit Elkabetz, Clément Clavel, Jean-Marie Winling, Gretel Delattre, Sylvie Milhaud, Xavier Boiffier, Dimitris Daskas, Pierre Lucat, Nicolas Pirson, Pierre-Marie Poirier, Alessandro Sampaoli, Guillaume Severac-Schmitz, Nicolas Yalelis, Joachim Fosset, Ninon Fachard, Caroline Breton, Adrienne Winling, Anne Rebeschini

Du 7 janvier au 12 février 2011

Théatre Nanterre Amandiers
7 avenue Pablo Picasso, 92 022 Nanterre – Réservations 01 46 14 70 00
www.nanterre-amandiers.com

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