© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette
Inconditionnelles. Deux femmes dans la même cellule, pas pour les mêmes raisons bien entendu, les mêmes raisons n’existent pas. Elles sont graves oui, une femme à perpétuité et une autre dont la lourde peine va être « allégée ». Deux femmes face à face, côte à côte, depuis longtemps apparemment. Elles sont ensemble, amoureuses et heureuses. Elles jouent et rient. Cela peut nous sembler étrange et surprenant, tout autant qu’empreint de magie fulgurante. Une cellule, qui nous paraît immense sur scène, et à la fois minuscule, forcément. Chess et Serena. La première est là pour homicide. Lourde peine, de futures années à imaginer toutes les mêmes, jours après jours. On devine que certes il y a eu un meurtre, mais n’était-ce pas un moyen de se protéger ? Elle a tué son mari qui apparemment la battait, la violait ? La peine semble injuste, un assassinat, oui, mais Chess a été détruite par cet homme, hier et aujourd’hui. Elle s’est emprisonnée elle-même, en elle. Refuse tout ce qui pourrait mettre un peu plus de lumière dans cette cellule. Tout sauf Serena qui est avec elle, qui joue avec elle, ri avec elle. Chess et Serena sont amoureuses, elles ont trouvé confiance et écoute l’une en l’autre. Chaleur et joie ? Chaleur et détresse ? Chess souffre de son image et Serena de celle de Chess, qui couvre les murs de mots, poésie sombre et merveilleuse. Une prof de musique vient les voir très régulièrement, et se bat pour elles deux. Pour les faire tenir. La sécurité flotte, caresse et joue. Protège.
La libération de Serena est annoncée, ce n’était pas prévu, pas là, pas maintenant, pas pour de vrai. Elle va s’en aller pour retrouver sa vie, la recommencer ailleurs, dehors. Chess tente alors de se suicider, ne peut, veut remonter face à ce presque abandon. Elle préfère mourir face à Serena, ne veut pas lâcher son talent, le libérer. On sent une douleur véritable. Serena s’en va, triste, mais pas anéantie, elle. Puis Silver pousse Chess, avec ses cours de musique, vers cette liberté inattendue, être elle-même, s’ouvrir à son talent, se libérer d’une certaine façon grâce à lui, passer au-delà des murs grâce aux ondes radio et à l’humanité – l’amour même ? – de cette prof de musique. Allez savoir. Puis le temps la pousse vers cette liberté inattendue, être elle-même, s’ouvrir à son talent, se libérer grâce à lui, d’une certaine façon, passer au-delà des murs grâce aux ondes radio. Horreur et vérité pour cette femme.
Dans cette création, Inconditionnelles, au titre si chargé de sens, nous avons quatre très bonnes actrices, des musiciennes. Le jeu juste, fort, drôle parfois, touchant. Deux prisonnières, une professeur de musique, une gardienne brute. Toutes aussi présentes, on peut avoir l’impression par exemple de tout savoir sur cette gardienne, tant elle est forte, puissante presque, drôle, tout cela à travers quelques apparitions. Alors imaginez ces deux femmes qui longtemps s’aiment, se tiennent à la surface grâce à cela et que le quotidien abandonne. Avec la traduction et cette mise en scène de Dorothée Munyaneza, la pièce de Kae Tempest nous est offerte. Sondos Belhassen, Bwanga Pilipili, Davide-Christelle Sanvee, Grace Seri nous font entrer dans ce texte, dans ces émotions, et nous partageons, grâce à elles toutes, l’intimité, la vérité d’un texte surprenant. Parfois le chant nous surprend un peu, on pourrait attendre une fulgurance, une atmosphère plus terrassante, un texte davantage coup de poing, mais non. Seul petit côté trop faible de cette pièce. On s’attend à de la voix, du son. Il y en a, oui, des deux, mais de façon peut-être pas assez… « pénitentiaire » ? Mais jeu et mise en scène existent, aucun doute. Beauté des images, ces textes au sol, libérés par le sol déchiré justement. De l’amour, beauté de mains tendues, de toutes façons possible ? Être mère aussi, les enfants absents, du coup disparaissant, la vérité (et son pluriel) dissimulé(s). Les sentiments, le chagrin, la peur. Le sol qui ne retient plus, les murs lumières. Nous sommes bien sur nos petits bancs du théâtre des Bouffes du Nord, face à toutes ces images. Inconditionnelles multiplie les instants, leurs sens, une sensibilité se promène non-stop, tente de nous faire comprendre ce qui peut être si loin de nous. C’est un spectacle presque nécessaire. Liberté, vérité, amour, surveillance. Chute et voix, voies. Kae Tempest, Dorothée Munyaneza, Sondos Belhassen, Bwanga Pilipili, Davide-Christelle Sanvee, Grace Seri, des noms qui se mêlent pour nous pousser à l’attention. Très beaux instants de vie dans tous les sens.
© Christophe Raynaud de Lage
Inconditionnelles de Kae Tempest
Traduction et mise en scène de Dorothée Munyaneza
Musique : Dan Carey
Collaboration musicale : Ben LaMar Gay
Scénographie et lumières : Camille Duchemin
Costumes : Lila John
Coordination artistique : Virginie Dupray
Assistanat à la mise en scène : Lisa Como
Décors et costumes réalisés par les ateliers du Théâtre national de Strasbourg
Avec : Sondos Belhassen, Bwanga Pilipili, Davide-Christelle Sanvee, Chess
Avec le soutien du Cercle de l’Athénée et des Bouffes du Nord et de sa Fondation abritée à l’Académie des beaux-arts.
Avec le soutien de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon – Centre national des écriture du spectacle
Durée du spectacle : 1h30
Du 20 novembre au 1er décembre 2024
Théâtre des Bouffes du Nord
37bis, boulevard de La Chapelle
75010 Paris
Réservations : 01 46 07 34 50
Inconditionnelles (Hopelessly Devoted) de Kae Tempest, traduit par Dorothée Munyaneza, est publié et représenté par L’Arche.
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