Critiques // « Incendies » de Wajdi Mouawad à Chaillot (Trilogie)

« Incendies » de Wajdi Mouawad à Chaillot (Trilogie)

Sep 16, 2010 | Aucun commentaire sur « Incendies » de Wajdi Mouawad à Chaillot (Trilogie)

Critique de Camille Hazard

Comme le souligne Wajdi Mouawad l’auteur et le metteur en scène de la trilogie Le Sang des promesses, il n’y a pas qu’une histoire pour résumer Incendies (second volet de sa trilogie).

Ses pièces sont construites comme une maison à plusieurs portes, chacun est libre d’y pénétrer par l’entrée qu’il souhaite. Incendies est l’histoire d’une femme qui endure une des nombreuses guerre au Liban, elle côtoie intimement la douleur physique, morale et finit par mourir en emportant avec elle un monstrueux secret enfoui dans son ventre. Incendies est l’histoire de Jeanne et de Simon qui se rendent chez le notaire pour connaître les dernières volontés de leur mère défunte ; ils ne trouveront pas que des legs ordinaires dans le testament mais trois lettres emplies de mystères, qui les conduiront dans le pays natal de leur mère Nawal.

© Jean-Louis Fernandez

C’est également l’histoire de personnes qui croient détenir des vérités, qui croient connaître leur famille et qui vont devoir aller au bout d’eux-mêmes pour comprendre. Comprendre quoi ? Leur existence, les liens qui les unissent aux autres, l’humanité crue qui se révèle à n’importe quel moment de la vie…Ils vont entreprendre une longue quête identitaire et s’apercevoir que l’on ne peut jamais être sûr de rien, sauf de ses promesses. Bien d’autres histoires se cachent derrière ces principales lignes narratives. Aux spectateurs de pousser plus loin les murs de cette œuvre infiniment grande.

« L’enfance est un couteau planté dans la gorge, on ne le retire pas facilement. »
Nawal, Incendies

À travers cette pièce, W.Mouawad nous apparaît comme un artiste complet, sachant créer une parfaite unité dramatique. Incendies est un texte poétique, tragique, riche de mots, d’idées, de réflexions philosophiques, de métaphores, il nous fait voyager à travers plusieurs époques, plusieurs lieux, plusieurs quêtes : nous sommes pris dans une toile d’araignée. C’est un texte qui peut paraître hermétique dans sa compréhension globale, et pourtant la simplicité étonnante de la mise en scène, des décors, du jeu de chaque comédien, rend cette œuvre d’une fluidité et d’une clarté étonnante !

© Jean-Louis Fernandez

Nous sommes à la fois dans le théâtre de la pensée et dans l’art populaire. C’est une réelle volonté de l’auteur de rendre indissociable le « savant » de ce théâtre dit « populaire ». Son théâtre se situe entre la compréhension des mots et la compréhension globale de l’œuvre ; il est facile de comprendre le mot « vie », il n’est pas facile en revanche de comprendre son sens ! Il arrive à rendre le public actif tout au long du spectacle (fait extrêmement rare !). Il faut dire qu’il nous maintient dans une tension permanente : comme les personnages sur scène, nous devons passer par des problèmes insolubles, des fausses routes, des déductions erronées pour que la vérité se dévoile. Durant toutes ces quêtes que nous partageons, nous nous rendons compte que les atrocités ne sont plus un scandale mais devenues une longue addition…Le jeu des acteurs prend au corps : tout est limpide, évident, avec une force enragée. Ils prennent parfois de la distance avec les situations, mais c’est pour que le texte nous pénètre un peu plus en profondeur. La pièce est finie, mais les mots résonnent encore dans notre tête : l’immense quête n’est pas finie, elle commence dehors.

Cette pièce ne nous fait pas mieux comprendre le monde, elle ouvre notre capacité de compréhension, c’est le plus beau cadeau qu’un artiste puisse nous faire.

Incendies
Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad
Avec : Julie McClemens, Gérald Gagnon, Jocelyn Lagarrigue, Isabelle Leblanc, Ginette Morin, Mireille Naggar, Valeriy Pankov, Isabelle Roy, Richard Thériault
Dramaturgie : Charlotte Farcet
Scénographie : Emmanuel Clolus
Régie plateau : Emmanuel Cognée
Lumières : Eric Le Brec’h
Son : Valérian Copeaux
Costumes : Audrey Gaudet
Musiques originales : Michel F.Côtés
Assistant à la mise en scène :Alain Roy
Conseiller artistique : François Ismert

Du 12 au 15 septembre 2010
Dans le cadre de la
Trilogie Wajdi Mouawad [Littoral | Incendies | Forêts]

Théâtre National de Chaillot
1 place du Trocadéro, 75 016 Paris
www.theatre-chaillot.fr

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