Critiques // « Impasse des Anges » d’Alain Gautré au Théâtre de la Tempête

« Impasse des Anges » d’Alain Gautré au Théâtre de la Tempête

Mar 20, 2010 | Aucun commentaire sur « Impasse des Anges » d’Alain Gautré au Théâtre de la Tempête

Critique de Bruno Deslot

Les anges ont-ils encore des ailes ?

Dans cette ronde des passions, du sexe mais pas de nudité, des mots orduriers mais finalement, rien d’obscène ! Alain Gautré réussit d’une main de maître, à parler du sexe dans tous ses états avec une incroyable crudité qu’il met en scène de manière si suggérée que l’on oublie la trivialité du langage pour s’attarder davantage sur les 18 instantanés présentés sur une scène qui elle, est nue !

© A. Bozzi

Deux panneaux blancs coulissants, s’ouvrent et se referment pour expulser ou faire pénétrer les personnages exposés à l’étal de l’amour. Une femme curieuse entre dans un peep-show juste pour voir, observer ce que propose cette fille qui se doigte, se caresse, jouit mais pour plus cher ! Une jeune fille ne peut jouir que si elle se sent aimée, ce que lui déclarera la verge déterminée à parcourir le sillon du plaisir furtif avant de partir pour d’autres aventures souterraines. Un coït interrompu et l’homme se retrouve chez un ami pour se masturber devant un porno et en bonne compagnie ! L’onanisme est salvateur, convivial mais ne facilite pas pour autant l’échange, sauf celui d’un morceau de Sopalin ! Dans un club échangiste, une femme, prise en saillie par un jeune étalon, évoque sa vie de douleur sous le regard masqué des hommes qui assistent à la performance. Un époux égaré, perdu entre ses désirs refoulés et une vie de frustration, quitte le domicile conjugal pour retrouver son ami de toujours, un sodomite, avec lequel il finira sur le bûcher. Un couple convoque un hardeur afin de pimenter sa soirée mais l’ennui demeure malgré tout.

Les mots s’enchaînent au rythme étourdissant des scènes qui se succèdent avec vitalité, cruauté et ironie, et pourtant au milieu de cette multitude, la solitude s’installe.

Le corps dans tous ses états

Un texte qui pose la question du corps sans jamais le montrer, le sexe évoqué dans sa plus grande liberté et trivialité pour une ronde des passions tournant court, dès lors que la modernité du propos met en perspective cette profonde solitude à laquelle tous les personnages sont confrontés. A l’étal de l’amour, Alain Gautré propose une série de produits, une épicerie fine à consommer sur place ou à emporter. Il découpe à la pointe du couteau, des tranches de vie en péril, souffrant du jouir à tout prix dans une société où l’omniprésence du sexe banalise, en négatif, le propos. Certes, le texte est cru, le champ lexical d’une extrême récurrence, mais l’ensemble atteint sa cible avec une grande justesse car l’auteur réalise une mise en scène millimétrée, constituant un contre point remarquable à ce qui est dit ou ce qui pourrait être montré.

© A. Bozzi

Face au public, assis sur des chaises ou debout, les corps s’animent avec l’élégance de la suggestion. Les jambes masculines se croisent et seul le pied se dresse vers le haut, entrainant le reste de la jambe, pour signifier l’érection. Les femmes, assises sans souci d’esthétisme, gardent sereinement les cuisses côte à côte pour libérer l’extrême jouissance qu’elles éprouvent. Le regard trouble, perdu dans l’évanescence du moment, accompagne les spasmes discrets que les corps accusent lorsqu’il y a pénétration, orgasme, éjaculation, domination ou simple masturbation. Le sexe est partout mais la rencontre entre les corps est nulle part ! C’est fort, puissant mais totalement virtuel, comme ces échanges sur le web qui n’aboutissent jamais et font une place d’honneur à la solitude. Alain Gautré peut se féliciter de répondre à la crudité de sa pièce par la décence et l’humour d’une mise en scène remarquable, servie par des comédiens particulièrement talentueux. Précis, justes et complices, ils réalisent une véritable performance de troupe dans laquelle le collectif fait sens. Sur un plateau nu, devant ou derrière deux panneaux coulissants, sur lesquels sont projetés le titre de chaque scène dit par une voix empruntée à un service audiotel, les comédiens se croisent, se rencontrent, s’affrontent, se perdent ou s’oublient pour finalement ne jamais se trouver. Les loges sont à moitié visibles, exposant aux regards curieux, les coulisses de l’histoire et donnant à l’ensemble de la proposition une dimension humaine que le sexe fait très rapidement oublier.

Pari gagné pour Alain Gautré et toute son équipe artistique proposant un moment de grand divertissement porté par un travail d’interprétation et de mise en scène tout à fait exceptionnels.

Impasse des Anges
Texte et mise en scène : Alain Gautré
Avec : Jérémie Bédrune, Julien Cigana, Karyll Elgrichi, Florence Fichot, Blanche Leleu, Teddy Mélis, Aurélie Messié
Scénographie : Alain Gautré et Orazio Trotta
Lumières : Orazio Trotta
Costumes : Catherine Oliveira
Maquillages : Céline Fayret
Conception sonore : Sébastien Trouvé
Collaboration artistique : Jérémie Bédrune
Décor : Alain Pinochet

Du 19 mars au 18 avril 2010

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, Route du Champ de Manoeuvre, 75 012 Paris
www.la-tempete.fr

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