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Il Viaggio, Dante, opéra de Pascal Dusapin, mise en scène et chorégraphie de Claus Guth, Grand Théâtre de Provence / Festival International d’Art Lyrique d’Aix en Provence

Juil 14, 2022 | Commentaires fermés sur Il Viaggio, Dante, opéra de Pascal Dusapin, mise en scène et chorégraphie de Claus Guth, Grand Théâtre de Provence / Festival International d’Art Lyrique d’Aix en Provence

 

© Monika Rittershaus

f article de Toulouse

Première mondiale présentée au Festival d’Art Lyrique d’Aix en Provence, le compositeur contemporain Pascal Dusapin et son librettiste Frédéric Boyer proposent une première réécriture pour l’opéra du mythe de Dante aux enfers. Véritable plongée dans l’entonnoir des enfers, tous deux se penchent sur ce chef d’oeuvre de la littérature italienne pour y déployer la notion de voyage, de quête initiatique, intérieure et spirituelle, en proposant un “opératorio en sept tableaux” (pour reprendre les mots du compositeur français) qui travers les paysages et les cercles dantesque propres aux puissances chtoniennes.

La mise en scène de Claus Guth propose d’adapter cette fable et ce personnage mythique à celui d’un homme blanc d’aujourd’hui, de situation sociale avantageuse et d’âge mûr, traversant dans sa vie une crise existentielle. La perte de la femme qu’il aime l’entraine dans une dépression et lors d’un accident de voiture, il semble traverser une EMI (Expérience de Mort Imminente) qui le place à la frontière de la vie et lui ouvre les portes des enfers, pour vivre comme le décrit Timothée Picard un “road movie intérieur”. Il est néanmoins regrettable que le metteur en scène allemand Claus Guth emprunte, si ce n’est plagie, la majorité de son esthétique et de sa mise en scène à David Lynch, sans avoir pour autant la force et la finesse de regard du cinéaste. À ce stade, il est difficile de parler de citations ou de simples références lynchéennes… Et la toute première image du spectacle, où un narrateur en costard sort d’un rideau de velours et s’approche d’un micro pour tenir un discours en italien (miroir exact d’une des scènes de Mulholand Drive), ouvre une kyrielle de déjà-vu.

Quoi qu’il en soit, on découvre dans ce spectacle une scénographie magnifique signée Etienne Pluss, jouant sur des superpositions de cadrages, des découvertes, des ouvertures de rideaux, des passages d’un espace à un autre, des traversées de miroirs etc… À cela s’ajoutent différentes vidéos qui viennent patiner le décors, donnent des textures étonnantes, et permettent de diffracter le temps avec l’utilisation de nombreux flash-backs, bienvenus pour consolider et étayer la dramaturgie du spectacle. Entre espace-temps très concret et non lieux, décors et vidéos opèrent à merveille dans ce voyage aux enfers.

Ce qui est dommage, et qui vient briser cette esthétique vaporeuse et faite de mystère, c’est bien l’interprétation et la représentation des personnages qu’on nous expose. Au-delà de jouer des archétypes, qui évidemment font la force des mythes et des légendes, on tombe souvent dans les clichés. On se demande alors, et cela tient surtout au livret, quel grand intérêt y a-t-il à reprendre de si grand récits si c’est pour répéter éternellement les mêmes figures, qui portent en elles, en outre, un discours moralisateur malvenu et étouffé par le poids de la chrétienté, sans même oser la tentative de déplacer les lignes et les lectures. Dans la mise en scène, on bascule aussi souvent dans les clichés de la folie, de la féminité (représentée encore par une femme en talon et robe rouges, qui fume langoureusement une cigarette), de l’innocence qui côtoie l’étrange (quand on regarde ces  deux fillettes jumelles qui se coiffent lentement en répétant les même gestes – autre référence cinématographique à Kubrick dans son film The Shining ?). En somme, une grande sensation de déjà-vu semble hanter les enfers de Dante. Ni la direction d’acteur, ni l’interprétation des chanteurs, ne permettent d’accrocher et de plonger dans ces images d’Épinal qui manquent douloureusement d’audace.

Pour ce qui est de la musique, ce que propose Pascal Dusapin est grandiose et favorise fort heureusement ce voyage intérieur. C’est la véritable force du spectacle. À la baguette, Kent Nagano maîtrise à merveille la direction de cet univers sonore aux couleurs étonnantes. On saluera également la performance de Jennifer France dont la partition n’a rien de facile et tient un enchaînement de notes suraiguës du début à la fin. Une autre mention pour la qualité du chœur de l’Opéra de Lyon et pour son écriture de toute beauté composée par Dusapin.

 

© Monika Rittershaus

 

Il Viaggio, Dante opéra de Pascal Dusapin

Composition : Pascal Dusapin

Direction musicale : Kent Nagano

Mise en scène et Chorégraphie : Claus Guth

Décors : Étienne Pluss

Costumes : Gesine Völlm

Lumière : Fabrice Kebour

Vidéo : Rocafilm

Dramaturgie : Yvonne Gebauer

Dispositif électroacoustique : Thierry Coduys

Assistant à la direction musicale : Volker Krafft

Chefs de chant : Alfredo Abbati, Yoan Hereau

Collaboration aux mouvements : Evie Poaros

Assistante à la mise en scène : Aglaja Nicolet

Assistante aux décors : Clémence de Vergnette

Assistante aux costumes : Madeline Cramard

 

Avec : Jean-Sébastien Bou (Dante), Evan Hughes (Virgilio), Christel Loetzsch (Giovane Dante), Jennifer France (Beatrice), Maria Carla Pino Cury (Lucia), Dominique Visse (Voce dei dannati), Giacomo Prestia (Narratore)

Danseuses et danseurs : Evie Poaros, Gal Fefferman, Marion Plantey, Alexander Fend, Nikos Fragkou, Hannah Dewor, Uri Burger, Victor Villarreal

Figurantes et figurants : Lucy Allen, Shana Allen, Hadrien Vinent-Garro, Jacqueline Cornille, Nicolas Chatel, Laurent Quintard

Chœur de l’Opéra de Lyon

Chef de chœur : Richard Wilberforce

Orchestre de l’Opéra de Lyon

Du 3 au 12 juillet 2021 à 20 heures

 

Grand Théâtre de Provence / Festival International d’Art Lyrique d’Aix en Provence

380 Avenue Max Juvénal, 13100 Aix en Provence

Téléphone 08 20 922 923

https://festival-aix.com/fr

 

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