© Rosellina Garbo
ƒ article de Paul Vermersch
Dans une théâtralité toute simple qui met l’accent sur le jeu des acteurs et des actrices, Emma Dante fait le pari d’un spectacle sobre pour venir retracer la vie d’un couple, ou plutôt la vie du couple – tant on sent que ce qui se dessine au plateau tendrait à venir brosser un portrait général des relations amoureuses. Un pari difficile à tenir, qui finit par s’essouffler dans les clichés et dans des artifices de jeu qui ont un peu de mal à dépasser le gag.
S’il est toujours quelque part question d’humour dans les spectacles d’Emma Dante, on ne rit pas beaucoup devant Il Tango delle Capinere, et probablement parce que finalement on a du mal à percevoir ce que le spectacle cherche. Sur un plateau quasi-nu un homme et une femme viennent jouer différents moments d’une vie à deux à rebours. On les découvre très vieux (et masqués), usés par le temps et la maladie (la femme semble souvent s’étouffer et a toujours besoin de petites pilules), et puis un peu plus jeunes, et puis on les voit élever un enfant, avoir l’enfant, se rencontrer, etc. Dans ce portrait à reculons c’est la danse qui fait lien : chaque scène, chaque situation s’articule autour d’un moment dansé, comme une sorte de motif qui viendrait soit déclencher, soit accompagner cette remontée du temps amoureuse. L’information est d’ailleurs donnée à un moment, le couple aurait gagné un concours de tango, mais la piste de cette expérience n’est pas suivie – et c’est dommage car c’est la seule qui, concernant le ménage, semble un peu personnelle, un peu singulière.
Car, au final on ne sait pas très bien quoi regarder dans ces situations qui se déploient devant nous au plateau : oui, ces deux figures nous apparaissent par un traitement du jeu assez net, qui a à voir avec le clown (et qui est assez symptomatique de l’espace de jeu que travaille Emma Dante c’est-à-dire la composition, le burlesque, le cartoon presque à certains égards, etc.), et l’on salue la virtuosité des interprètes qui traversent des états de corps très différents tout du long du spectacle, et qui font preuve d’une très grande netteté dans le rythme nécessaire à la réalisation de tous les gags qui dessinent ce couple comique. Mais le spectacle ne se défait pas des archétypes classiques de la vie de couple (très hétéro-normée d’ailleurs) et on s’ennuie de voir se convoquer sur le plateau les sempiternels clichés (de la fille un peu bébête qui se fait séduire par le garçon un peu provocateur, de l’homme marié qui sombre dans l’alcoolisme au détriment de sa pauvre épouse qui fait tout pour l’aider, etc.). On se demande où est le regard porté sur cette union, ce qui vient se raconter en plus de cette théâtralité rigolote. Sans venir travailler un vrai point de vue, les artifices comiques nous apparaissent pour ce qu’ils sont, des béquilles qui masquent le manque de contenu à la fois dramaturgique et artistique du spectacle ; qui au final vient générer une représentation de l’amour déjà mille fois vue.
Dans son travail autour des formes comiques actuelles, la chercheuse Mireille Losco-Lena fait la distinction entre le comique, (qui, dit-elle, prend toujours racine dans une grande douleur, mais qui, pris dans un regard, dans un point de vue transformateur, appelle une sensibilité particulière) et le marrant (qui est comme un comique de forme, qui vient créer de l’humour par des jeux plus superficiels, plus attendus, et ne fait pas apparaître la profondeur de ce dont il traite). On trouve ici une clef intéressante pour rentrer dans Il Tango delle Capinere en ce que le spectacle apparaît comme finalement une suite de variations comiques, engendrées pour elles-mêmes en finissant par plafonner à un degré de lecture simple et attendu et en se satisfaisant de créer du marrant. Le motif du tango quant à lui semble assez plaqué, les moments chorégraphiés comme injectés de manière pas toujours adroite dans la dramaturgie laissent un peu coi. On a du mal à s’en raconter autre chose que des performances techniques, mais sans doute finalement faudrait-il recevoir ce spectacle comme cela : dans le jeu comme dans la chorégraphie, ce que l’on nous donne à voir c’est justement cette résolution scénique très maitrisée, de la prouesse dans les corps.
© Rosellina Garbo
Il Tango delle Capinere, écrit et mis en scène par Emma Dante
Assistanat à la mise en scène : Daniela Mangiacavallo
Avec : Sabino Civilleri et Manuela Lo Sicco
Lumières : Cristian Zucaro
Organisation : Daniela Gusman
Régie : Marco D’Amélio
Traduction du texte en français : Juliane Regler
Traduction des surtitres : Franco Vena
Du 15 au 14 mai 2025
Durée : 1h
Théâtre National Populaire
8 place Lazare-Goujon
69627 Villeurbanne cedex
Réservation : 04 78 03 30 00
Adresse du site email : https://www.tnp-villeurbanne.com/spectacle/il-tango-delle-capinere/
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