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Il Nerone, L’incoronazione di Poppea, de Claudio Monteverdi, direction musicale de Vincent Dumestre, mise en scène d’Alain Françon, Opéra de Paris / Athénée Théâtre-Louis Jouvet

Mar 08, 2022 | Commentaires fermés sur Il Nerone, L’incoronazione di Poppea, de Claudio Monteverdi, direction musicale de Vincent Dumestre, mise en scène d’Alain Françon, Opéra de Paris / Athénée Théâtre-Louis Jouvet

 

© Vincent Lappartient / OnP

 

f article de Denis Sanglard

Redonner Le couronnement de Pompée, ou Il Nerone, dans sa version d’origine ou du moins sa reconstitution, les partitions originales ayant quasi disparue et d’autres mains ayant supplées au manque, ne subsistant que deux manuscrits tardifs ayant intégrés coupes et ajouts et joués depuis comme tels, et dans un cadre intimiste, version de chambre comme l’avait écrit Claudio Monteverdi, est une curiosité qui ne se boude pas. Revenir à la source donc, celle supposée quasi improvisée à Paris en 1647, sans machine et resserrée, par la troupe qui l’avait créée à Venise quelques années plus tôt. Le choix d’un effectif léger et d’une troupe, la contrainte d’une poignée de corde dans la fosse et un théâtre qui par sa forme et sa jauge se rapproche de ceux vénitiens du 17e siècle ont présidé à cette renaissance. Les jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra de Paris sous la baguette de Vincent Dumestre, mis en scène par Alain Françon, ont relevé ce pari. Aucune certitude que l’œuvre présentée soit dans sa forme originale, mais c’est approcher de celle-ci au plus près, en découvrir toutes ses subtilités, dépouillés des scories, palimpseste, et du goût du jour. Vincent Dumestre à la tête du Poème harmonique saisit toutes les subtilités et les nuances d’une partition ainsi dégraissée, délabyrinthant avec talent l’expression musicale des passions et intrigues qui animent les protagonistes. Musicalement, il n’y a rien à redire. Seulement, du point de vue de la théâtralité, le bât blesse.

Alain Françon a voulu rompre avec la vision baroque, sa machinerie théâtrale et sa pompe, pour mettre à nu et sans artifice le discours amoureux d’une passion inconditionnelle et d’une ambition dévorante. Si nous avons le discours, porté haut par le livret littéraire de Busenello et la musique de Monteverdi, le chant des interprètes, fallait-il pourtant désincarner l’ensemble, ôter les nerfs sensibles de cet amour incandescent et absolu ? Ce qui manque là, c’est le théâtre, la théâtralité, même réduite à sa plus simple expression. Une théâtralité que ne porte pas les chanteurs réduits à leur condition stricte de chanteur, impuissant ou maladroit à exprimer ça, le théâtre des passions, se libérer de la partition, aller au-delà pour mieux en exprimer le suc. L’opéra ce n’est pas que chant même si ce qui le porte ici, dans Il Nerone, est avant tout un discours qui use de la métaphore et l’expressivité d’une musique qui s’accorde merveilleusement aux sentiments amoureux. Alain Françon semble ici avoir buté contre un obstacle imprévisible, les interprètes, sans doute et certainement de bonne volonté, mais impuissants semble-t-il à dépasser leur art qu’ils maîtrisent, pour le sublimer et sublimer cette carte du tendre d’une cruauté franche contrastant avec la pureté des sentiments exprimés.

S’il n’y a rien à dire vraiment sur le chant, dans l’ensemble parfait donc, il manque pourtant ce qui le sublime, la grâce d’une réelle incarnation, un poids de chair et de sensualité. Voire de cruauté. Las, nous restons dans une pure abstraction qui serait froideur s’il n’y avait la musique pour résister et combler le manque. La mise en scène par son minimalisme même, et cette volonté affirmée et juste d’une intimité d’un opéra de chambre a son revers, ne fait qu’accentuer les ratés de cette mise en scène, les défauts d’un jeu approximatif, ou de son absence, et qui nous sautent brutalement aux yeux. Gestes empruntés, voire gauches, afféterie et clichés, tentent en vain de compenser le manque d’une réelle composition qui dépasserait le chant. Le pire et le ridicule s’incarnant dans le personnage de Néron, caricatural et franchement pathétique. Comment Alain Françon dont on connait la rigueur dans la direction d’acteur et l’attention aiguë portée aux personnages, au discours, a-t-il laissé faire ça ? Un chanteur (Fernando Escalona, contre-ténor) en roue libre pour une composition des plus outrée. Néron, comme une pâle imitation sans talent de Michel Serrault dans La cage aux folles, qui ferait même ici faire passer le célèbre pianiste Liberace pour un hétéro, et où l’on se dit que Poppée devant les grimaces de ce triste cabotin, les contorsions de ce pantin roulant des yeux, a l’ambition bien chevillée pour épouser ce tyran. L’Amour pour le coup est bien aveugle. Mais Alain Françon ? Dommage que cette composition hallucinante de bêtise oblitère une très belle voix qu’on finit par ne plus vouloir écouter, brouillée par cette interprétation indigente qui décrédibilise le personnage et entache sa relation avec Poppée. Malgré un jeu quelque peu statique et emprunté, on retiendra quand même la magnifique basse Alejandro Balinas Vieites dans le rôle de Sénèque. La mezzo-soprano Lise Nougier dans la nourrice et celui de la vertu allie sûreté de la voix et d’un jeu affirmé. Comme le contre-ténor Léo Fernique, irrésistible dans le rôle d’Arnalta, la nourrice de Poppée. Pour le coup, une vraie composition. La mezzo-soprano Marine Chagnon (Poppée) et la soprano Lucie Peyramaure (Octavie) si leurs voix ne font pas défaut, loin de là, ne dépassent pas écrivions-nous plus haut le chant pour y trouver une réelle complexité dans l’incarnation. La passion et l’ambition qui se voudraient brûlantes s’en trouve quelque peu refroidies. Même problématique pour Othon, l’amant désavoué (Léopold Gilloots-Laforge, contre-ténor) et Drusilla (Martina Russomanno, soprano) dont le chant est juste mais désincarné, là aussi.

Reste la volonté et la réussite d’approcher au plus près l’ultime œuvre de Claudio Monteverdi, son testament musical, une (re)découverte en soi. Si ce n’est la forme d’origine, il est permis de rêver sur cette proposition radicale à ce que put être sa création. Et malgré nos réserves, voire notre sévérité, il est toujours plaisant de découvrir de jeunes chanteurs prometteurs – ils le sont tous – qui ici font troupe commune dans la défense d’un répertoire sinon inédit, du moins retrouvé au plus près des intentions du compositeur.

 

© Vincent Lappartient / OnP

 

Il Nerone, l’incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi

Livret de Giovanni Francesco Busenello

Direction musicale : Vincent Dumestre

Mise en scène : Alain Françon

Scénographie : Jacques Gabel

Costumes : Marie La Rocca

Lumières : Jean-Pascal Pracht

Chorégraphie : Caroline Marcadé

Création maquillage et coiffures : Cécile Kretschmar

Collaboration artistique : Nounée Garibian-Bigot

Assistante mise en scène : Victoria Sitja

 

Avec les artistes en résidence à l’Académie de l’Opéra National de Paris :

Marine Chagnon ( Poppée), Fernando Escalona (Nerone), Alejandro Balinas Vieites (Seneca), Lucie Peyramaure (Ottavia), Léopold Gilloots-Laforge (Ottone), Leo Fernique (Arnalta), Martina Russomanno (Drusilla/Fortuna), Kseniia Proshina (Amore / Valetto), Lise Nougier (Nutrice / Virtu), Yiorgo Ioannou (Mercutio / Famigliare di Seneca 3, Littore/ Consoli / Tribuni 2), Leo Vermot-Desroches (Lucano / Soldato 1 /Famigliare di Seneca 1), Thomas Ricart (Soldato 2, Famigliare di Seneca 2, Liberto / Tribuni)

Le Poème Harmonique :

Louise Aryton (violon), Fiona Poupard (violon), Lucas Peres (lirone), Ronald Martin (viole de gambe), Cyril Poulet (violoncelle), Etienne Galletier (théorbe), Sara Agueda (harpe), Elisabeth Geiger (clavecin)

Chef de chant Carlos Sanchis Aguirre, Ramon Theobald

 

Les 2, 4, 6, 8, 10 et 12 mars 2022 à 20 h

Le dimanche à 15 h

 

Athénée Théâtre-Louis Jouvet

Square de l’Opéra Louis Jouvet

7 rue Boudreau

75009 Paris

 

Réservation 01 53 05 19 19 / 08 92 89 90 90

www.athenee-theatre.com

www.operadeparis.fr

 

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