© Pascal Victor/Opale
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Si Huit heures ne font pas un jour, un lieu peut faire une existence, un lieu peut accomplir une vie. Lieu de vie en est d’ailleurs, selon moi, l’expression consacrée. Des casiers métalliques, des établis, des armoires, des douches collectives à la faïence blanche défraîchie, des panneaux dépareillés, un frigo blanc, des caisses de bières, quelques assises… : l’espace créé par Julie Deliquet et Zoé Pautet sur la scène du TGP s’offre au premier regard comme l’antichambre du monde du travail, à la fois entrepôt, vestiaire, espace de repos et d’échanges pour les équipes postées se relayant dans une usine.
Ce lieu, composite et pourtant si parfaitement identifié, nous y pénétrons spectateurs et acteurs comme par effraction dès l’ouverture de Huit heures ne font pas un jour. Comme chez Tchekhov, on entend d’abord des voix hors champ : une foule de petits cris, de rires, de bousculades, de disputes joyeuses, une liesse bagarreuse. Puis débarque, cherchant refuge, tout ce petit monde trempé par la pluie : la famille Krüger-Epp rassemblée ce dimanche pour une fête d’anniversaire qui vient d’être interrompue par une averse dans un parc voisin. Dans cet espace de l’usine et du monde ouvrier, se tient une fête de famille. Dans un monde scindé se rejoignent alors des mondes séparés.
C’est toute la force de cette mise en scène pour le théâtre de la série télévisée éponyme de Rainer Werner Fassbinder : quand la série démultiplie les lieux, le théâtre de Julie Deliquet les convoque dans un lieu unique du début du spectacle à sa fin ultime. Ce choix conjugue vérité sociologique et justesse esthétique. Il y a dans les scènes de famille superposées à un tel espace comme la mise à jour littérale de structures sociales habituellement invisibles. Une permanence du lieu qui rend tangible la continuité des formes de violences et de dominations d’un monde à l’autre mais aussi des solidarités, des élans collectifs, des générosités. De l’usine à la famille.
Huit heures ne font pas un jour est l’adaptation pour la scène de cinq épisodes de la série télévisée que réalisa Fassbinder, diffusée en 1972. Fassbinder écrit à hauteur d’hommes et de femmes, à hauteur de leurs histoires, et non de l’Histoire, le parcours d’une famille et d’une équipe d’ouvriers. Avec le même stylo heureux et joueur, se donnant les moyens du feuilleton populaire, Fassbinder esquisse le jouissif récit des émancipations : ouvrière et féminine entre autres. La beauté de cette écriture est d’être par choix et non par naïveté résolument optimiste, de narrer une succession de conquêtes sociales et sociétales avec la même agilité et lumineuse simplicité que celle d’un roman d’aventure dont les héros seraient ici ceux d’un quotidien prolétaire.
Huit heures ne font pas un jour est trempé de cette tendresse qu’il leur porte, soulevé par une vigoureuse et ferme espérance. De cette galerie de personnages comme autant de caractères, naît une histoire animée et portée par ces seules petites gens. Pour une fois, grâce à Fassbinder, dans une sorte d’utopie bienfaitrice et réparatrice, ce seraient eux tous qui écriraient le récit de nos luttes à mener.
Au-delà ou à cause de son écriture feuilletonesque, par le miroir même grossier que cette petite société d’hommes et de femmes constitue, par nos attentes passées, nos désirs déçus et nos espoirs jamais abandonnés, Huit heures ne font pas un jour trouve en chacun des spectateurs le chemin d’une biographie collective rêvée. Huit heures ne font pas un jour n’est peut-être pas si éloignée du livre Les Années d’Annie Ernaux.
La troupe dirigée par Julie Deliquet est d’une évidence incroyable dans cette entreprise, ce sont eux les maîtres de l’horloge faisant fuser les répliques avec la précision d’un Feydeau, faisant mouche sans trahir une écriture collective profondément organique et incarnée. Leurs troubles, leurs colères, leurs émois, leurs folies sont leurs beautés. Avec eux, Julie Deliquet réussit l’impossible : convoquer le passé sans jamais sombrer dans la nostalgie. C’est ici et maintenant. C’est la puissance du théâtre !
© Pascal Victor/Opale
Huit heures ne font pas un jour, de Rainer Werner Fassbinder, épisodes 1 à 5
Traduction Laurent Muhleisen
Mis en scène par Julie Deliquet
Avec : Lina Alsayed, Julie André, Éric Charon, Évelyne Didi, Christian Drillaud, Olivier Faliez, Ambre Febvre, Zakariya Gouram, Brahim Koutari, Agnès Ramy, David Seigneur, Mikaël Treguer, Hélène Viviès et en alternance Paula Achache, Stella Fabrizy Perrin, Nina Hammiche
Collaboration artistique : Pascale Fournier, Richard Sandra
Version scénique : Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos
Scénographie : Julie Deliquet, Zoé Pautet
Lumière : Vyara Stefanova
Son : Pierre De Cintaz
Costumes : Julie Scobeltzine
Régie générale : Léo Rossi-Roth
Durée : 3 h 15 avec entracte
Du 29 septembre au 17 octobre 2021
Du lundi au vendredi à 19 h 0, samedi à 17 h, dimanche à 15 h
Relâche le mardi et le jeudi 7 octobre
Théâtre Gérard Philipe
59, boulevard Jules-Guesde
93 207 Saint-Denis Cedex
Tél : 01 48 13 70 00
En tournée :
Du 5 au 7 janvier 2022 à 20 h
Domaine d’O, Montpellier
78, rue de la Carriérasse
34090 Montpellier
www.domainedo.fr
Le 14 janvier 2022 à 20 h
Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge
EMC, Place Marcel Carné
91 240 St-Michel-s/Orge
www.emc91.org
Du 19 au 23 janvier 2022 à 20 h
Théâtre des Célestins, Lyon
4 rue Charles Dullin 69002 Lyon
www.theatredescelestins.com
Du 2 au 4 février 2022 à 19 h 30
MC2 : Grenoble, scène nationale
4 rue Paul Claudel CS 92448
38034 Grenoble Cedex 2
www.mc2grenoble.fr
Les 9 et 10 février 2022 à 19 h 30
La Coursive, scène nationale de La Rochelle
4 Rue St Jean du Pérot
17000 La Rochelle
www.la-coursive.com
Du 16 au 18 février 2022 (à 19 h 30 le 16 et 17, à 20 h 30 le 18)
Théâtre de la Cité, centre dramatique national, Toulouse
1 Rue Pierre Baudis
31000 Toulouse
www.theatre-cite.com
Les 24 et 25 février 2022 à 19 h
Comédie de Colmar, centre dramatique national Grand Est Alsace
6 Rte d’Ingersheim, 68000 Colmar
www.comedie-colmar.com
Les 4 et 5 mars 2022 (20 h 30 le 4, et 20 h le 5)
Châteauvallon – Le Liberté, scène nationale, Toulon
Grand Hôtel, Pl. de la Liberté, 83000 Toulon
www.chateauvallon-liberte.fr
Du 10 au 12 mars 2022 à 20 h (sauf le 12 à 19 h)
Théâtre Joliette, scène conventionnée, Marseille
2 Pl. Henri Verneuil, 13002 Marseille
www.theatrejoliette.fr
Les 17 et 18 mars 2022 à 19 h
Théâtre de l’Union, centre dramatique national, Limoges
20 Rue des Coopérateurs, 87006 Limoges
www.theatre-union.fr
Du 23 au 25 mars 2022 à 19 h
Comédie, centre dramatique national, Reims
3 Chau. Bocquaine, 51100 Reims
www.lacomediedereims.fr
Les 6 et 7 avril 2022 à 19 h 30
Comédie de Caen, centre dramatique national de Normandie
1 Square du Théâtre, 14200 Hérouville-Saint-Clair
www.comediedecaen.com
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