© Patrick Berger
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Chaque année l’Adami donne carte blanche à un metteur en scène, « un maître de théâtre ». Paroles d’acteurs, tel est le nom de cette initiative heureuse, permet donc à de jeunes comédiens de travailler sur un temps de répétition relativement court sur un projet, de se frotter à l’univers d’un metteur en scène. Le choix s’est porté cette année sur un duo terrible, Jeanne Candel et Samuel Achache. Du sang neuf donc pour ces deux joyeux lurons de la scène dont les créations oscillent entre opéra et théâtre. Edgar Allan Poe, « la Chute de la maison Usher » et « La Vérité sur le cas de M. Valdemar » sont le motif sur lesquels ont brodés les dix comédiens dûment castés et sélectionnés. Avec pour colonne vertébrale des lieder de Franz Schubert et de Robert Schuman. « Loreleï », « La jeune fille et la mort » (si je ne me trompe pas) entre autre puisque qu’il s’agit ici d’une variation moins fantastique que drôle sur la mort d’une patiente (suite à une chute de cheval, cela a son importance pour la suite) revenue parmi les vivants, semant le trouble chez les médecins, lesquels ne voient pas d’autre solution devant cette énigme défiant la science et à défaut de la « necrocider » (sic) derechef de lui faire croire qu’elle est bien morte mais dans un entre deux, un purgatoire, dont ils sont eux-mêmes les médecins. De ce canevas pour le moins farfelu voir potache, Jeanne Candel et Samuel Achache entraînent tout ce petit monde dans une ronde joyeuse et énergique, loufoque. Et les dix qui composent ce nouvel ensemble s’en donnent à cœur joie. Ils sont formidables, tous. Fragiles aussi, ce qui est beau à voir. Talentueux surtout. L’improvisation parfaitement maîtrisée et qui s’emballe parfois vers des sommets d’absurdité hilarante donne ainsi une fébrilité sensible à l’ensemble. Une tension palpable et dynamique. C’était certes un peu frais ce premier soir, temps de répétition court et première oblige, mais cette fraîcheur-là ajoutait à la griserie de l’ensemble. Une prise de risque qui pousse chacun en ses retranchements et singularités, accentue leur présence attentive. La mort rôde sur le motif, sans doute, mais ces jeunes comédiens/chanteur/musiciens sont bien vivants. Et en confiance. Le duo Candel-Achache choisi pour les accompagner semble les avoir bordés, cadrés tout en les poussant à prendre des risques parfaitement ici assumés, quitte à dépasser ce cadre, ce qu’ils font sans barguigner et de façon bravache. Ce qui surprend, c’est combien chacun d’entre eux semble exposer, mettre à nu sa folie sur le plateau, sans fard, en faire matière. Une folie bientôt collective. Et le public ne s’y trompe guère, sensible lui aussi aux enjeux tant individuels que collectifs du plateau qui sous-tendent cette création quelque peu déjantée sous une certaine et trompeuse mesure, un tempo faussement calme secoué de soubresauts inattendus. D’autant plus que le dispositif scénique, trifrontal, accuse une proximité immédiate entre le public et les comédiens. Tout est en somme à vue qui fragilise encore davantage, comme elle le renforce, l’expérience vécue sur le plateau. Et ce qui est troublant c’est combien cette inquiétude-là, celle du comédien, nourrit formidablement les personnages, l’ensemble de cette troupe éphémère et le motif sur lequel il brode. Et chaque lied chanté est dans ce tourbillon comme un bel instant suspendu où chacun se ressource et se recentre, ou le collectif fait montre de sa cohésion, avant de nouveau jeter son corps et plus encore, sa folie, dans la bataille. Jeanne Candel et Samuel Achache sont de formidables passeurs c’est évident et les dix sur le plateau, traversés de cette expérience, offrent au public, outre leur générosité et leur énergie, quelque chose d’indicible, du mystère de l’acteur, une transfiguration de son être.
La Chute de la maison mise en scène de Jeanne Candel, Samuel Achache et Florent Hubert
Direction musicale Florent Hubert
D’après Edgar Allan Poe, Franz Schubert et Robert SchumannAvec Margot Alexandre, Adrien Bromberger, Chloé Giraud, Louise Guillaume, Julie Hega, Jean Hostache, Hatice Özer, Antoine Sarrazin, Vladimir Seguin, Antonin Tri-Hoang
Scénographie Lisa Navarro
Costumes Le Vestiaire, sous le regard de Pauline Kieffer
Chef de chant Nicolas Chesneau
Collaboration artistique Victor Assié
Assistante Carla BouisRégie générale Nicolas Prosper
Création et régie lumière César Godefroy
Du 3 au 7 décembre 2019
le 3 à 21 h, les 4, 5 et 6 à 20 h 30, le 7 décembre 2019 à 17 h et 21 h
Théâtre de l’Aquarium2 route du Champ de Manœuvre75012 ParisRéservation 01 43 74 99 61
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