© Valerian Galy
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
S’il fallait ne retenir qu’une chose de cette nouvelle création de Robyn Orlin, c’est le rire qui traverse le plateau, un rire qui est plus que l’expression de la joie mais une identité profonde, l’expression joyeuse et cathartique d’une résilience, une célébration de la vie. C’est, de ses créations et performances, en apparence la moins politique. Parce que les danseurs du Garage Danse Ensemble, crée par Alfred Hinkel et John Linden, l’ont voulu ainsi, exprimer davantage leur personnalité que l’Histoire d’un pays, d’une ville ; Okiep, au nord du Cap, à la frontière de la Namibie, son township et son extrême pauvreté. Ville minière où le cuivre fit la prospérité du pays de 1870 à 1980. Là, on y parle l’afrikaans et les autochtones préfèrent être appelés Coloured, définition d’ethnies mélangées, ici descendants des cultures nama (pasteurs d’Afrique australe) et indienne. Population discriminée, pas assez blanche du temps de l’apartheid, aujourd’hui pas assez noire. Mais de ça, sur le plateau, on ne parle pas, on regarde le désert. Dans cette région de Namaqualand, après les pluies de l’hiver, c’est un immense tapis de fleurs qui recouvrent la terre. Plus de 3500 espèces différentes de marguerites sauvages… symboles de paix et de prospérité. Sur le plateau ils sont cinq danseurs pour exprimer ça, ce miracle de la nature, cette renaissance infinie, métaphore de leur vie qui ne cesse de vouloir se réinventer. Accompagnés par le groupe uKhoikhoi et son incroyable chanteuse, Analisa Stuurman, une voix stratosphérique et un abatage hors-norme que nous avions découvert dans We wear our wheels with pride and slap your street with color…We sair « bonjour » to Satan in 1820, une chorégraphie de Robyn Orlin qui a toujours le chic de dénicher des talents hors-normes.
Engoncés dans des vêtements couleur poussière, ils s’en défont bientôt pour faire surgir leurs corps longilignes et souples comme des tiges, désormais revêtus seulement de quelques oripeaux aux teintes éclatantes portés en corolles. Métamorphose délicate que l’usage de la vidéo et de la palette graphique, en directe, achève, effaçant les corps qui ne sont plus que couleurs mouvantes, éclaboussant la scène comme le serait le désert, ombres florales chatoyantes en mouvement que le vent ferait ployer. Ils sont les fleurs de ce désert et sans doute est-ce là la meilleure définition de leur être, de l’appréhension de leur humanité profonde. Ce qu’ils dansent c’est la vie, leur vie intime, le souffle vital qui les anime encore et toujours dans cet environnement aride où poussent miraculeusement dans un éternel recommencement les fleurs. Chaque solo est l’expression d’une personnalité, une danse à nulle autre pareille, anarchique en apparence, qui n’exprime rien d’autre que ce qu’ils sont, hors de tout discours ethniques, nationalistes, ou académiques. Un refus net et définitif, le rejet absolu d’être cantonné à une ethnie ou catégorie, une définition restrictive, qui laisse ainsi toute la place sur la scène au surgissement, à la fulgurance, la fragilité, le présent, l’ici et maintenant. A sa violence réelle aussi, jamais vraiment occultée, qui s’immisce sans crier gare dans un duo qui vire au viol. Scène terrible et bouleversante, inattendue, qui vous cingle brutalement car rien jamais avec cette chorégraphe ne doit faire illusion. C’est toujours ainsi avec Robyn Orlin, chorégraphe lucide à l’écoute d’un pays dont elle est encore le poil à gratter. Il faut se méfier du chatoiement, des étoffes chamarrées, des couleurs de l’arc-en-ciel, des corps bondissants, qui recèlent toujours sa part foncière et sourde de tragique. Mais encore une fois on est emporté très vite par cette énergie qui déborde de partout, cette exubérance entrelacée de gravité, ce rire offert avec générosité ne cherchant pas cependant à masquer la réalité d’une violence vécue, énergie qui fait se lever la salle pour accompagner, tapant des pieds et des mains, les danseurs et le groupe uKhoiKhoi dans un final comme toujours ébouriffant…
© Valérian Galy
How in salts desert is it possible to blossom…, un projet de Robyn Orlin
Avec le Garage Danse Ensemble et uKhoiKhoi
Avec : Byron Klassen, Faroll Coetzee, Crystal Finck, Esmé Marthinius, Georgia Julies
Musique originale et interprétation live : uKhoiKhoi avec Yogin Sullaphen et Anelisa Stuurman
Costumes : Birgit Neppl
Directeur technique : Thabo Walter
Vidéos : Eric Perroys
Lumières : Vito Walter
Garage Danse ensemble, Alfred Hinkel ( fondateur), John Linder ( directeur des créationsà, Byron Klassen ( chorégraphe résident), Nicolette Moss ( production)
Vu le 29 novembre 2024
Durée estimée 1h
En anglais et afrikaans, surtitré en français
A partir de 16 ans, ce spectacle comporte des représentations ou descriptions de violences physiques et sexuelles
Chaillot-Théâtre National de la Danse
1 Place du Trocadéro
75116 Paris
Réservations : 01 53 65 30 00
Tournée :
03/04 décembre, Le Manège, Reims
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