© Geoffrey Montagu
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Dans le ciel bleu ennuagé, ils se détachent avec la gravité taillée de la pierre, mouvants, émouvants. Bruits de la ville et de la vie alentour ajoutant au vivant de l’œuvre comme des oiseaux posés sur une statue. Contemplés en contreplongée dans cet extérieur jour qu’est le parvis du théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France, le regard droit, la fierté de mise, bras s’écartant comme pour un envol, ils incorporent la monumentalité offerte aux morts dans nos jardins publics. Olga Dukhovna et François Malbranque composent leur stature et leur statue sans pour autant jamais faire image : elle reste une asymptote qu’ils tiennent à distance, quand bien même ils s’en approcheraient de plus en plus jusqu’à la frôler. Et s’en éloignent par intermittence, comme une expiration, à la manière d’un ballon qui se dégonflerait après s’être gonflé d’importance. François Malbranque, cheveux ras, regard clair, visage et allure de jeune homme, a l’âge d’être enrôlé. Dans cette pièce, que l’on pourrait qualifier d’actualité, les guerres contemporaines, notamment celle en Ukraine, dont est originaire la chorégraphe, résonnent « drôlement » sur les corps et les visages. Rien de comique, quand bien même les deux performers savent faire preuve de légèreté et aménagent les ruptures pour éviter toute saturation pathétique, mais l’étrangeté nous surprend et nous étreint dans les projections imaginaires que nous ne pouvons manquer de faire sur cette partition éminemment sensible : corps glorifiés et tombés pour la patrie. Il y a de l’effigie que l’on effeuillerait ici.
Olga Dukhovna joue d’une certaine façon avec le feu, emprunte aux danses folkloriques que l’on associe volontiers à un certain chauvinisme, convoque les figures héroïques quand elles sont souvent l’instrument d’une propagande d’Etat. Mais justement, c’est ce danger de la collusion, de la confusion, qui passionne particulièrement, offrant un supplément d’affect dans le trouble que la pièce procure. Olga Dukhovna écrit sa pièce dans un geste critique qui faisait déjà des miracles pour Swan Lake Solo. Les images et les danses folkloriques sont offertes dans leur citation même, elles sont épinglées dans leur plus simple appareil comme un pierre-feuille-ciseau, et plus encore détournées de leurs fonctions originelles. Ici, en Seine-Saint-Denis, comme ailleurs, sur tous les autres terre-pleins de France et de Navarre, Hopak est affaire avant tout de partage. La danse folklorique ne se formule plus comme signe d’exclusion et de fermeture sur un groupe prédéfini mais comme la marque d’une ouverture et d’une interrogation partagée ensemble au moment même où elle soulèverait un nouveau commun. Plutôt qu’un regard vers le passé, elle renouvelle la perception d’un avenir aussi frêle qu’un lointain en train de disparaître.
On pourrait enfin parler d’une pratique de la reconnaissance chez Olga Dukhovna. Reconnaissance qu’il faudrait comprendre autant comme cet acte réflexif faisant prendre conscience de certains traits qui nous sont propres ou émanent de la culture qui nous a façonnés, que comme ce mouvement de partir en reconnaissance, d’aller à la découverte, investiguer, et faire de ce qui est proche une terre vierge et inconnue. Sa danse est un ressaisissement de ce qui sans cela aurait échappé. Dans le souffle aphone d’un accordéon, la sonnerie aux morts se mue en souffle de vie.
© Geoffrey Montagu
Hopak, chorégraphie d’Olga Dukhovna
Composition sonore et accordéon : Dennis Weijers
Danse : François Malbranque, Olga Dukhovna
Costumes : Soraya MoBé
Dramaturgie : Simon Hatab
Direction Technique : François Aubry et Denis Malard
Durée : 40 minutes
Dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis
Le 25 mai 2024 à 19h
Théâtre Louis Aragon
24 boulevard de l’Hôtel de Ville
93290 Tremblay-en-France
Tél. 01 49 63 70 58
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