© Géraldine Aresteanu
ƒƒ article de Corinne François-Denève
Camille n’a vraiment pas de chance. Pour son exposé, on lui a collé comme acolytes deux garçons qui ne sont pas les plus éveillés. Arthur et Ibrahim ont des idées un peu vagues sur l’histoire, et il se pourrait bien qu’ils aient surtout envie de la draguer. Mais en un sens Camille a de la chance : sa prof d’histoire aime bien les exposés originaux, et surtout, elle ne souscrit pas aux réécritures du passé propres à alimenter un roman national bien lisse et surtout bien blanc. Et si Camille, Arthur et Ibrahim racontaient leurs Histoire(s) de France ?
Le projet d’Amine Adjina, estampillé « jeune public », est un vrai projet de théâtre politique – s’élever contre un récit qui occulte des pans entiers de l’histoire, écrite par les dominants, plus encore que par les vainqueurs, et le jouer devant des classes, quand l’école devient de plus en plus un lieu frileux et apolitique. On pourrait regretter que le propos reste un peu rudimentaire. Ainsi, les évènements revisités sont la préhistoire, Vercingétorix, la Révolution française et la victoire de la France en 1998. Ce sont des évènements qui restent « consensuels », et le sont encore plus par la façon dont ils sont ici traités : la Révolution est la grande revanche des dominés, la victoire de 1998 est l’acmé sublime de la France « black blanc beur ». Ces interprétations sont sans doute irénistes, et l’historiographie récente est depuis revenue sur cela. Si la pièce est la continuation d’une autre pièce, Arthur et Ibrahim, elle ouvre également la voie vers une trilogie qui traitera d’autres évènements.
On pourrait aussi souligner des facilités. Camille, dont le prénom est épicène, veut jouer Vercingétorix, en nouvelle femme puissante qu’elle sait être ; mais elle consent à le jouer avec des seins, forcément gros, comme le voudrait le cliché (gaulois ?). La fille, justement, est aussi la bonne élève, douée, là où les garçons pensent à embrasser ou jouer au foot (mais, enfin, on la joue comme Beckham depuis longtemps !). Et puis le père d’Ibrahim a une grande barbe, est une sorte de « druide » et part pour un voyage qu’on imagine être le jihad… – quel dommage d’essentialiser ces biographies fictionnelles, et d’intégrer ces constructions dans un récit qui vise à déconstruire un autre « roman », et qui se veut, et est « inclusif » (la pièce est accessible aux personnes sourdes et malentendantes, et, au théâtre 71, les « souffleurs d’images » sont disponibles pour les personnes non et mal voyantes). A moins, évidemment, que ces raccourcis ne soient des perches tendues vers une exploitation pédagogique.
La scénographie est maligne, l’interprétation efficace, le ton choisi délibérément comique (on pense parfois aux mythiques Inconnus et à « Louis Croix V Bâton »). L’enthousiasme juvénile, dûment constaté pendant et après le spectacle, prouve l’utilité de l’entreprise. On ajoutera que la pièce n’est jamais plus convaincante que lorsqu’elle présente des aspects documentaires : les micro-trottoirs à Alésia, ou les réponses de jeunes gens terriblement futés. La lecture des « cahiers de doléances » 2022 est aussi extrêmement émouvante – il s’agirait par exemple de fêter « tous les anniversaires », de mettre une glace dans les WC des garçons, et d’avoir un animal, et un vétérinaire à demeure dans les établissements – beaux rêves d’une belle génération à venir, qui aura toujours le théâtre pour penser et rire, grâce à l’éducation culturelle – on l’espère et on veut y croire.
© Géraldine Aresteanu
Histoire(s) de France, texte et mise en scène : Amine Adjina
Collaboration artistique : Émilie Prévosteau
Avec : Mathias Bentahar, Romain Dutheil, Émilie Prévosteau et la voix de Kader Kada
Comédienne traductrice LSF : Faustine Mignot-Roda
Création lumière : Bruno Brinas et Azéline Cornut
Création sonore :Fabien Aléa Nicol
Scénographie :Cécile Trémolières
Costumes :Majan Pochard
Habilleuse: Manon Alléguière
Régie générale :Azéline Cornut
Assistant à la mise en scène :Julien Breda
Création vidéo :Guillaume Mika
Construction décor :Frédéric Fruchart
Durée : 1 h 15
Jeune public, à partir de 10 ans
Spectacle accessible aux personnes sourdes et malentendantes
Spectacle vu le 12 février 2022 au Théâtre 71, Malakoff
Tournée :
Du 16 au 18 février au Théâtre Jean Vilar, Montpellier, (34)
Les 7, 8 et 10 mars au Tangram, Scène nationale d’Evreux-Louviers, (27)
Les 21 et 22 mars à la Scène nationale de l’Essonne Agora-Desnos, Ris-Orangis, (91)
Du 6 avril au 16 avril au Théâtre 13, Paris, (75) (relâche le 11)
Les 28 et 29 avril au Grand Bleu, scène conventionnée d’intérêt national Art, Enfance et Jeunesse, Lille, (59)
comment closed