© Rugile Barzdziukaite
fff article de Denis Sanglard
C’est un opéra d’à peine une heure, brûlot d’un humour corrosif et subversif qui ne cherche pas à masquer la violence du capitalisme que subisse ces caissières, déshumanisées par un travail abrutissant, dénoncé ici sans fard et magistralement. Elles sont dix, de tous âges, tablier bleu uniforme, vissées sur leur chaise qu’elles ne quitteront pas, à ne jamais se regarder, à répéter mécaniquement « bonjour, merci, bonne journée » que ponctue le bib abrutissant et répétitif des scanners, devenus une extension de leur être. Mise en scène et scénographie à minima et pertinentes. Mais entre ces trois formules creuses et vidées de leur sens par la répétition, elles chantent, le plus souvent a capella, leurs conditions, leurs rêves et leurs désillusions. Portraits de femmes en souffrance, en précarité, premières victimes d’une économie libérale qui ne leur laisse aucun échappatoire. Sous les néons crues qui dégueulent leur lumière blafarde jusque dans la salle, c’est une mise à nue d’un système et d’une économie où le consumérisme cynique broie sans état d’âme l’individu corvéable à merci. Cadences infernales, salaires dérisoires, déterminisme social, déclassement… ce qui se dit et se chante là de leur condition, d’une portée universelle, est d’une justesse sans appel qui vous saisit et vous glace. La force de cette création est aussi dans ce chiasme entre une forme opératique radicale et la trivialité du sujet et de la langue rarement usité en cet endroit. Trivialité qui n’empêche nullement la rudesse d’une poésie brute faite de slogans publicitaires, de listes de produits consommables et de pensées personnelles tressées étroitement. Comme une réflexions au fil de l’eau où l’individu devient perméable à son environnement, conditionné, contaminé par lui que de rares échappées, de fragiles espoirs, de projets dérisoires cherchent et peinent à adoucir. Une communauté de destin, de ses vies minuscules qu’une même condition sociale rassemble, qu’illustrent les chœurs reprenant en cela la tradition lituanienne des sutartinés, chant choral féminin au contenu profane illustrant la vie quotidienne. Elles sont trois artistes lituaniennes à avoir conçu cet opéra pour voix, piano et musique électronique : Valava Graynitè, Lina Lapelytè et Rugilè Barzdziukaitè. Trois femmes qui signent un manifeste d’une ironie cinglante où derrière la banalité du quotidien se niche une violence sociale et politique dont les femmes sont les premières victimes. A ces femmes invisibilisées et démunies sont rendues ici leur dignité et leur humanité.
© Modestas Endriuska
Have a good day ! opéra pour dix caissières, des sons de supermarché et un piano, conception de Vaiva Grainytè, Lina Lapelytè et Rugilè Barzdziukaitè
Livret : Vaiva Grainytè
Composition et direction musicale : Lina Lapelytè
Mise en scène et scénographie : Rugilè Barzdziukaitè
Caissières : Indrè AnankaItè-Kalašnikovinnè, Liucina Blazevic, Vida Valuckienè, Veronika Ciciskaitè-Golovanova, Lina Valonienè, Rima Sovienè, Erika Viselgè, Rita Racicunienè, Svetlana Bagdonaitè, Kristina Svolkinaitè
Agent de sécurité (piano) : Kestutis Pavalkis
Création lumière : Eugenijus Sabaliauskas
Costumes : Daiva Samajauskaitè
Régie son : Arunas Zujus
Du 22 au 24 octobre 2024 à 20h30
Durée : 55mn
Théâtre du Rond-Point
2bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Réservations :
01 44 95 98 21
01 53 45 17 17
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