© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

ƒƒƒ Article de Nicolas Brizault

Haute surveillance, « long poème » plus qu’une pièce peut-être, écrit en prison et revu par Genet plusieurs fois, la version présentée ici étant celle de 1985, modifiée un an avant sa mort. L’histoire ? Trois hommes sont en prison : Lefranc, un méchant triste et perdu qui ne sait comment attirer l’attention, Maurice, un méchant souple, hélas pour lui à la beauté certaine, et Yeux-Verts, un méchant qui aime le lilas et maintenant s’en fout. Sans oublier un gardien qui sent violemment la naphtaline. Les deux premiers adulent, en l’avouant ou non, le troisième, Yeux-Verts, sans doute déjà perdu pour son crime, et dont il faut alors hériter de la force, de la femme, de tous les pouvoirs de fascination ?

Voilà l’histoire. Yeux-Verts est un axe, comme un axe musical, un métronome pour cette lutte échangée entre Maurice et Lefranc, un coup toi, un coup moi. Les voix sortent souvent d’un silence fort où peuvent baigner sensualité, énergie, éparpillement, haut et bas. Va et vient ? Une certaine haine des femmes, pourquoi pas, même si l’on fait semblant de rêver récupérer la future veuve de Yeux-Verts ? Il sait hurler, battre et remettre l’ordre à l’envers. Des électrons autour du noyau. Des chiens, une meute courte étrange et prisonnière, des chiens qui se lèchent, aboient et se mordent autour d’un plus chien encore que les autres et qui ne sait pas trop pourquoi et qui dirige la niche pourtant. Même le gardien tente de faire le beau, fait le beau. Seul l’autre méchant, le roi de la prison, celui qu’on ne voit pas, surpasse Yeux-Verts.

Pas de décor. Une cellule, nue. L’espace est dans l’idée clos et petit. L’enfermement est ici ouvert, vaste et resserré, on est dans les idées confuses de ces trois prisonniers, idées échangées ou non, tout comme on se cogne contre la masse froissée de leurs corps moites. Et les vêtements servent de décors, une veste posée au sol est prise pour un lit. Le sable sol, au départ, aux premiers instants de la pièce, crée un « ici » fort, lent, pesant, crissant, poussièreux et salissant, usant les pieds nus. Juste un sable qui offre l’idée des murs rongés par des années d’enfermement, de fatigue, de meurtres. Et un espace, entre eux et le monde, entre eux et nous. Pourtant ils sont enfermés vraiment. Quand le gardien pénètre la cellule on devine le poids et le jeu de la clé. On sent les barreaux. Ces trois prisonniers ne sont pas près de nous, ils sont les uns contre les autres, se repoussent, se veulent : entre des murs, ce soir imaginés, qui les retiennent. Simplicité et sobriété de l’espace nécessaires quand on voit ces explosions sans cesse immanentes, tout au long de ce texte.

La mise en scène de Cédric Gourmelon est tout sauf emprisonnée. Des comédiens vivants, c’est-à-dire sales, de cette saleté multiple, nous montrent là, ce soir sur scène, quatre hommes échappés de l’âme de Genet pour pénétrer la nôtre, pour nous en donner l’envie, pour avoir plus de plaisir encore. Et qui y réussissent. Bravo.

Haute surveillance, Jean Genet

Mise en scène Cédric Gourmelon
Scénographie Mathieu Lorry-Dupuy
Costumes Cidalia Da Costa
Lumières Arnaud Lavisse
Assistante à la mise en scène Morgann Cantin-Kermarrec

Avec la troupe de la Comédie-Française Pierre Louis-Calixte, Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux, Christophe Montenez

Du 16 septembre au 29 octobre 2017, du mercredi au dimanche à 18h30

Editions Gallimard, version de 1985, publiée en 1988

Studio-Théâtre
99 rue de Rivoli
75001Paris

Galerie du Carrousel du Louvre
Place de la Pyramide inversée

Réservations du mercredi au dimanche de 14h à 17h
Au guichet et par téléphone au 01 44 58 15 15

www.comedie-francaise.fr

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