Critique d’Evariste Lago –
Harper Regan ne sait pas.
Dialogues avec le quotidien.
Elle a quarante et un ans. Cela lui est tombé dessus un beau matin, sans qu’elle ne demande rien. C’est beau la quarantaine quand on est bien installé dans sa vie. Elle travaille beaucoup. Harper Regan travaille dans un gratte-ciel de la city à Londres. Dans une tour froide comme le verre. Sa famille est on ne peut plus « normale » : un mari architecte, pour le moment au chômage, et une fille adolescente qui récite encore ses leçons. Harper vit un quotidien morne et sans relief. Mais c’était sans compter le grain de sable, celui qui grippe les rouages des vies ordonnées.
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Pour elle, la goutte de trop sera le refus, par son patron, d’une journée de congé pour aller voir son père malade. Si elle part, elle perd son travail. Que faire ? Succomber à la pression du travail et de l’argent ? Privilégier les liens familiaux déjà fort distendus ? Harper déteste sa mère depuis deux ans, depuis qu’elle a… « Je ne sais pas ». Aux questions qu’un adulte se pose et à ce qui la dérange, Harper répond : « Je ne sais pas ». C’est plus facile de se laisser prendre au jeu des pressions familiales et du travail lorsqu’on ne sait rien. Miss Regan est sous pression. À son travail. À la maison. Sa fille entre dans la période sombre de l’adolescence. Son mari a perdu son travail et elle doit subvenir aux besoins de tous et oublier les siens. Harper décide de suivre son cœur, d’aller voir son père. Trop tard. Il est mort seul sans savoir que sa fille l’aimait.
Parfois, le silence est meurtri par des bruits d’avions qui atterrissent, de trains qui entrent en gare et qui déversent leurs flots continus de masses humaines sans visage. Voilà à quoi nous conduit la vie si on se laisse faire. Harper Regan pourrait chanter « Résiste » mais préfère se plonger dans les délices de l’inconnu pour s’extraire de son quotidien. Harper est déphasée. Elle va rencontrer des hommes mûrs, d’autres moins et retrouver son mari. Elle va oser dire à sa mère qu’elle la déteste et à son mari qu’elle lui en veut. La vérité est parfois bonne à dire. Toutes les vérités sont bonnes à dire.
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Silence du quotidien.
Harper Regan est une pièce de Simon Stephens, auteur dramaturge anglais assez peu représenté en France, écrite en 2007. Sa pièce « Pornographie », écrite également en 2007, a été mise en scène par Laurent Guttman à la Colline en 2010. Du Verbe sort la vérité. La langue est ici quotidienne, proche des comédiens et donc des spectateurs. La thématique et l’atmosphère de cette pièce sont troublantes. L’atmosphère de « Harper Regan » est également rendue familière par la mise en scène de Lukas Hemleb. Un plateau qui tourne, une vie qui prend un nouveau virage. Une multitude de lieux, une multitude de rencontres. Trois petits tours et puis s’en vont… Valsent les décors et les situations. Leur point commun est le froid ambiant. Les comédiens, chapeau bas à Marinas Foïs et Gérard Desarthe, nous livrent avec passion les turpitudes de leurs personnages. Les nombreux silences sont nourris de l’intériorité des comédiens.
Harper Regan
De : Simon Stephens
Traduction : Dominique Hollier
Mise en scène : Lukas Hemleb
Avec : Caroline Chaniolleau, Gérard Desarthe, Marina Foïs, Alice de Lencquesaing, Louis-Do de Lencquesaing, Pierre Moure.
Assistante à la mise en scène : Charlotte Lagrange
Décor : Csaba Antal
Costumes : Gerhard Gollnhofer
Lumières : Lukas Hemleb, Csaba Antal
Son : Jean-Louis ImbertDu 19 janvier au 19 février 2011
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75 008 Paris – Réservation 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr