Critiques // Critique • « Hamlet » de Shakespeare, mise en scène de Nikolaï Kolyada à l’Odéon

Critique • « Hamlet » de Shakespeare, mise en scène de Nikolaï Kolyada à l’Odéon

Oct 10, 2010 | Aucun commentaire sur Critique • « Hamlet » de Shakespeare, mise en scène de Nikolaï Kolyada à l’Odéon

Critique de Denis Sanglard

Art brut

Hamlet mis en scène par Nikolaï Kolyada c’est une invitation aux sources du théâtre. Une fête païenne, un rituel sauvage et barbare. Une cour des miracles où de grotesques chiffonniers bariolés d’oripeaux, portant laisses et colliers de chien,  métamorphosent nos rebuts en métaphores. Un théâtre de bric et de broc, fait de bouts de ficelle, de vieux chiffons, d’ossements même, récupérés, transformés. « Un art pauvre en moyen, riche en image » a-t-on dit. C’est par trop réducteur car chaque image porte un sens, un mystère aussi, une poésie sauvage et débridée. Les objets qui encombrent l’espace du plateau sont ainsi détournés de leur fonction première et se métamorphosent au gré des situations et des besoins. Un simple bouchon de liège peut ainsi devenir un objet érotique…Et la Joconde, très présente dans la scénographie, un objet de fantasme vouée à toutes les transgressions, tous les transferts inavouables. Un théâtre Art Brut pourrait être une bonne définition.

© Eric Didym

Ubu à Elseneur

Dans cette cérémonie hallucinante il y a comme une nécessité, une urgence vitale, un besoin de théâtre irrépressible… Une urgence que traduit la troupe de Nikolaï Kolyada. Elle profère, elle hurle, bouffe et scande le texte. C’est mené tambour battant dans une folle farandole tenant plus de la danse macabre que du folklore. Ubu à Elseneur. Mais il n’en demeure pas moins qu’il y a effectivement ici quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Au fond de nos poubelles le metteur en scène indéniablement a trouvé le visage de l’homme dans ce qu’il peut y avoir de plus trivial. C’est joyeux et paillard en diable. Si le texte de Shakespeare est passé à la moulinette, c’est toute la brutalité du théâtre élisabéthain qui nous pète à la gueule. La situation semble être privilégiée. Une vision décalée mais juste.

© Eric Didym

Portée par une troupe formidable, unie autour de Nikolaï Kolyada, jouant le spectre, double du metteur en scène, qui organise cette étrange cérémonie. Un spectre déguisé en ange, rodant sur le plateau, qui ouvrant la porte du décor semble ouvrir la boite de Pandore. Et puis Oleg Yagodine, Hamlet blond à la beauté perverse, incroyable d’animalité. Un triste pitre capable de passer de poses expressionnistes  à une simplicité enfantine. Qui vous balance le trop fameux « To be or not to be » comme on balance un air de rock sur une ritournelle russe entêtante, reconstituant à l’aide de pattes de bœufs blanchies qui parsèment le plateau le squelette de Yorrick. Et qui  atteint une profondeur, et une présence à vous donner la chair de poule quand se délaissant peu à peu toute affectation il atteint un dépouillement, une nudité tragique effarante.

Célèbre chez lui, encore méconnu en France, révélé en 2009 par le Festival Passage ( organisé à Nancy par le théâtre de la Manufacture), nul doute que Nikolaï Kolyada ne nous soit désormais indispensable.

Hamlet
De : William Shakespeare
Mise en scène : Nikolaï Kolyada
Costumes : Lioubov Rodigina, Natalia Gorbounova, Svetlana Yakina
Lumière et son : Denis Novosselov
Avec : Youlia Bespalova, Serguej Bogorodsky, Anton Boutakov, Anna Danilina, Serguej Fiodorov, Natalia Garanina, Konstantin Itounin, Alexej Jdanov, Lioubov Kocheleva, Serguej Kolessov, Svetlana Kolessova, Nikolaï Kolyada, Karen Kotchiarian, Alexandre Koutchik, Anton Makouchine, Alexandre Ouglov, Irina Plesniaeva, Serguej Rovine, Alexandre Sissoev, Maxim Tarrassov, Evguenij Tchistiakov, Vera Tzvitkis, Alexandre Vakhov, Oleg Yagodine

Du 7 au 16  octobre 2010

Théâtre de l’Odéon – Ateliers Berthier
Angle de la rue Suarès, 75 017 Paris
www.theatre-odeon.fr

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.