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Guten Tag, Madame Merkel, écrit et mis en scène par Anna Fournier, La Pépinière Théâtre, Paris

Sep 08, 2024 | Commentaires fermés sur Guten Tag, Madame Merkel, écrit et mis en scène par Anna Fournier, La Pépinière Théâtre, Paris

ƒƒ article de Corinne François-Denève

L’homme politique serait-il le nouveau personnage théâtral à la mode ? Le personnage du politicien, qui a déserté les écrans télévisuels sous sa forme satirique, prisée dans les années 1980 et 1990, se retrouve encore souvent dans les caveaux des chansonniers. Mais il semble avoir fait depuis quelques temps un saut vers une scène dite légitime. La vie et la mort de Jacques Chirac est ainsi programmé pour octobre au Petit Saint-Martin. Cette pièce de Léo Cohen-Paperman poursuit la série Huit rois (nos présidents) et fait de l’ancien président un personnage décidément spectaculaire, après le Chirac de Dominique Gosset et Géraud Bénech, au Théâtre de la Contrescarpe en 2022. Il faut dire que les liens entre la politique et le théâtre ne sont plus à démontrer : on sait ce que le tribun politique doit à l’homme de scène, et on sait aussi que des cours de théâtre peuvent « faire » des Présidents et leur sont fort utiles, sinon gages de rencontres.

Que se passe-t-il donc quand l’homme politique est une femme, de surcroit étrangère ? C’est le pari que prend Anna Fournier dans son seule en scène, présenté à la Pépinière Théâtre, Guten Tag, Madame Merkel. Comme Jacques Chirac, la chancelière allemande semble propice à la caricature. Tout le monde garde en tête des clichés fixant ses mimiques, sourire dubitatif et gêné à côté de Poutine, désolé et énervé devant Trump. Tout le monde se souvient également de ses vêtements aussi colorés que « pratiques », et de sa posture très identifiable, doigts croisés dessinant un signe mystérieux à hauteur de son ventre. Pour une comédienne, « Angela » est déjà un personnage ; il semble facile de la « trouver ». Ce personnage, Anna Fournier l’a sorti des spectacles du Birgit Ensemble, qui entreprennent à grandes enjambées enthousiastes et fougueuses, et souvent enthousiasmantes, de retracer l’histoire de l’Europe.

Nous voici donc devant l’histoire d’Angela Merkel, femme normale, sans ambitions démesurées, chercheuse en sciences dures, élevée en RDA, et surtout chancelière allemande qui pendant seize ans a traversé et accompagné (ou changé ?) l’histoire de l’Europe. Dès le début, plantée en avant-scène, dans la posture bien connue d’Angela M., Anna Fournier « campe » et installe son personnage. Une petite crainte nous traverse, les premiers mots lancés : va-t-on assister à un avatar de Papa Schultz ? Bien vite toutefois, nous voilà rassurée : si Anna Fournier a choisi de doter Frau Merkel d’un gross accent chermanique, il n’en va pas de même pour les autres personnages qu’elle interprète. Ils sont nombreux : Poutine, Sarkozy, Hollande, mais aussi la conseillère-confidente Waltraud. Chacun et chacune a sa couleur. L’accent souligné de Merkel sert seulement à « lancer » le personnage, à l’identifier dans un raccourci facile pour le public, avant que ne se mette en place une galerie de comparses qui tous et toutes ont une parlure et une posture spéciales, le trait de génie étant sans doute, justement, de sur-« franciser » le mari de Merkel (qui, vous l’apprendrez, n’est pas Herr Merkel), ou le Grec Alexis Stipras, lors d’une conversation téléphonique poignante.

Guten Tag, Madame Merkel n’est en effet pas une pochade aux effets faciles. Cette histoire de l’Europe vue par Angela a ses moments sombres (la culpabilité induite par l’exercice du pouvoir et ses nécessaires compromissions), et ses instants oniriques (la mort du père, papa Kohl), qui dénotent une écriture et une mise en scène qui vont au-delà du simple exercice du portrait-charge. L’écriture du spectacle est en effet déliée, jamais ennuyeuse, touchant parfois au registre tragique, jamais loin, non plus du politique, comme il est rappelé dans la pièce. L’abattage et la délicatesse d’Anna Fournier fait le reste. On croit voir en elle une fille (très) spirituelle de Jacqueline Maillan, toute prête à exécuter un Bismarck volontairement grotesque. Alors, comme on dit dans Papy fait de la résistance, « on ne rekrette pas za zoirée » !