Critiques // « Golden Hours, (As you like it) », chorégraphie de Anne Teresa de Keersmaeker, au Théâtre de la ville

« Golden Hours, (As you like it) », chorégraphie de Anne Teresa de Keersmaeker, au Théâtre de la ville

Juin 16, 2015 | Commentaires fermés sur « Golden Hours, (As you like it) », chorégraphie de Anne Teresa de Keersmaeker, au Théâtre de la ville

article de Florent Mirandole

gold© DR

Vide, pale, creuse, la scène du théâtre de la ville a été dépouillée pour accueillir le nouveau spectacle d’Anne Teresa de Keersmaeker. C’est dans un silence quasiment religieux que 9 danseurs interprètent une pièce de William Shakespeare, « Comme il vous plaira ». Oubliez la forêt d’Ardenne et les châteaux gothiques, la chorégraphe a également dépouillé le texte de la verve et des couleurs du dramaturge anglais. Il ne subsiste que quelques bribes de dialogues sensées inspirer les danseurs, et accessoirement informer le spectateur du déroulement de l’histoire. Mais la compréhension de l’intrigue ne semble pas avoir été le souci majeur de la chorégraphe. « Golden Hours » est avant tout un spectacle de danse, spectacle pendant lequel les danseurs vont livrer leur interprétation de Frederick, Orlando ou encore Rosalinde, armés de leur seule sensibilité et de leur sens de l’improvisation.

Le choix radical de laisser une troupe broder autour d’une fine trame narrative avait de quoi séduire. En donnant libre cours à la créativité de ses danseurs, Anne Teresa de Keersmaeker avait l’occasion de créer un spectacle original et imprévisible. Et effectivement cette radicalité séduit aux premiers abords. L’enthousiasme est réel devant la place donnée à la seule personnalité du danseur, mise à nu devant la troupe, et dont on guette le moindre geste au point de s’émouvoir d’entendre les légers crissements de ses basquettes. Pourtant le charme disparait très vite. D’abord parce qu’en ignorant les limites de son dispositif, la chorégraphe perd rapidement le public. Si quelques trouvailles des danseurs, tantôt menaçants, tantôt férocement amoureux, traduisent avec inventivité les vers shakespeariens, la sécheresse de la mise en scène et la longueur de la pièce laissent vite apparaître les ficelles du dispositif. Le danseur animé par sa seule inventivité se transforme alors en un simple acteur perdu au milieu d’une scène anonyme, s’escrimant en vain à traduire une intrigue dont le spectateur a longtemps perdu le fil faute d’avoir lu assez attentivement le livret.

Ce projet pourrait au moins paraître audacieux si la chorégraphe n’affichait pas une telle assurance. Redoutant que l’intelligence de son dispositif ne soit pas suffisamment reconnue, Anne Teresa de Keersmaeker impose dès les premières minutes une longue séance d’exposition pédagogique. En guise de prologue, les danseurs avancent lentement et à l’unisson vers le public. Ce petit jeu dure le temps de 3 chansons de Brian Eno. Attention, il s’agit de trois fois la même chanson, le temps probablement que le spectateur prenne la mesure de l’audace. Le contraste avec la liberté donnée aux danseurs par la suite est trompeur, ces deux phases participent d’une même expérience rébarbative qui empiète sur le plaisir éventuel que pourrait prendre le public.

La chorégraphe semble trop souvent confondre l’art de bousculer le spectateur et l’art de lui imposer son art. En imaginant ce spectacle complexe et radical, la chorégraphe était probablement convaincue de créer quelque chose de nouveau. « Golden Hours » l’est à certains égards. Toutefois la prétention du projet et son mépris du public font de cette pièce un long moment de gêne.

Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker
Musique Another Green World, Brian Eno (1975)
Arrangements Carlos Garbin
Conseil artistique Ann Veronica Janssens
Conseil dramaturgique Bojana Cvejić
Lumières Luc Schaltin
Costumes Anne-Catherine Kunz
Assistantes costumes Heide Vanderieck, Dorothée Catry
Assistante artistique Femke Gyselinck,
Assistante des répétitions Femke Gyselinck, Cynthia Loemij
Coordination artisitique et planning Anne Van Aerschot
Directeur technique Joris Erven
Ingénieurs son Alexandre Fostier, Nicolas Vanstalle
Habilleuses Emma Zune, Heide Vanderieck
Techniciens Wannes De Rydt, Bert Veris

créé avec & dansé par Aron Blom, Linda Blomqvist, Tale Dolven, Carlos Garbin, Tarek Halaby, Mikko Hyvönen, Veli Lehtovaara, Sandra Ortega Bejarano, Elizaveta Penkova, Georgia Vardarou, Sue-Yeon Youn

Du 13 au 20 juin 20h30, dimanches 14 et 21 juin à 15h

Théâtre de la Ville
2, Place du Châtelet – 75004 Paris
Réservation 01 42 74 22 77
www.theatredelville.com

Be Sociable, Share!

comment closed