© Myriam Tirler
ƒƒ article de Denis Sanglard
Un peu plus près des étoiles. Aurélien Richard, qui fut pianiste et chef de chant pour le Ballet de l’Opéra de Paris, désenchanté de n’être au final qu’un accompagnateur qu’on pouvait interrompre sans ménagement et sans un regard pour reprendre quelques variations, lui qui rêvait de trouver l’harmonie entre musique et danse, derrière son piano devenu poste d’observation a vu, entendu… S’inspirant du ballet Giselle, le graal de toute ballerine, ballet romantique d’Adam, Corali et Perrot, ce sont les coulisses, l’envers du décor, l’enfer du corps de ballet qu’il donne à voir. Caustique et au final plein de compassion pour un univers impitoyable, qui broie ou porte au sommet, dur pour soi et envers les autres. De la sueur, des larmes, le triomphe, l’acmé de parvenir étoile, et la retraite, un enterrement de première classe où l’étoile brille encore alors qu’elle est morte, à l’intérieur de soi c’est le trou noir, et cherche un plan de reconversion… C’est tout ça que l’on découvre, tandis qu’Aurélien Richard au piano déroule la partition de ce ballet qui voit mourir par amour et trahison Giselle avant de revenir d’entre les morts, métamorphosée en Wilis, pour se venger. C’est l’argument plus que le ballet qui importe ici. Cet argument comme trame et métaphore d’une vie de ballerine toute entière vouée à son art. C’est d’abord une étoile devenue coach, Marie Cariès impeccable et minérale, qui se présente à nous, trahie par ce corps usé, qui fut tout et n’est plus rien, devenu son propre ennemi, impitoyable coach avec les autres étoiles naissantes, en une scène d’humiliation et de jalousie qui vous laisse pantois. Mais qui nous explique aussi combien le mouvement se doit d’être transcendé, dépasser la technique pour atteindre l’essence de son personnage jusqu’à se brûler. Puis deux danseurs, petits rats plein d’esprit et de promesse, à la barre, en répétition, déjà en compétition. De répétitions il en est question, beaucoup. Faire et refaire un mouvement, démonstration sensible d’Elsa Godard, jusque la perfection, l’épuisement, la chute. Pour le prix fragile et incertain d’espérer devenir une étoile. Et que ressent une étoile le jour de sa nomination ? Le vide et le vertige. Une étoile devenue icône publicitaire et objet de rancœur chez ses concurrentes. La rancœur il y en a encore chez ce danseur, Olivier Normand excellent, qui ne sera sans doute jamais étoile et qui ne voit en l’autre, l’élu, que « deux bras et deux mollets », lui qui affirme habiter le divin. Et les adieux d’un danseur étoile, si tôt à la retraite, qui ne voit là sous le triomphe qu’un enterrement, sa disparition programmée et l’oubli. A moins de finir crooner en veste pailletée, ou le pathétique de la situation le dispute au désopilant de la scène imaginée. Aurélien Richard a l’œil affûté et l’écriture acide, répétiteur devenu ici, derrière son piano droit, discret et sardonique maître de cérémonie, chorégraphe d’un milieu en souffrance, entre vanité et abnégation, grandeur et ridicule. Sans grande méchanceté à vrai dire, malgré la dure ironie, l’humour, même vachard, s’effaçant bientôt devant la gravité et la monstruosité. Monstre sacré jamais telle expression pouvait soudain prendre une autre tonalité. C’est vrai, on se dit parfois que, non décidément, c’est un peu trop. Cela frôle le cliché, la rumeur ou le ragot. Sans y tomber jamais. Il y a là un poids indéniable de vérité et d’humanité sur pointes blessée. Des bleus au corps, meurtris pour l’art, mais aussi à l’âme. Indélébiles. Elsa Godard, vraie danseuse et soliste, donne à son personnage d’étoile une fêlure, une fragilité qui évite l’écueil de la caricature. Cette création, cette fantaisie chorégraphique comme il est indiqué avec justesse, ne manque ni de qualités ni d’idées dans sa relative et volontaire simplicité, sa légèreté, hormis quelques effets qu’on peut juger inutiles, vidéos qui n’apportent pas grand chose de plus au propos. Aurélien Richard est le plus à l’aise, concentré sur son sujet, la danse, sa transcendance, l’histoire de corps en souffrance et de caractères bien trempés, forgés sur les parquets de l’Opéra de Paris. Cette rupture, comme indiqué dans le titre, géniale synthèse, entre l’illusion donnée, la perfection sur un plateau et le travail acharné, la souffrance qui le soutend en studio. Ci-gît Giselle. Qui fut tout et puis plus rien, fantôme évaporée.
© Myriam Tirler
Gis_Elle, vie et mort d’une étoile, une fantaisie chorégraphique conçue et réalisée par Aurélien Richard
Avec Marie Cariès, Elsa Godard, Olivier Normand, Aurélien Richard
Texte Charles A. Catherine, Nedjma Merah, Aurélien Richard
Musique Adolphe Adam, Aurélien Richard
Chorégraphie et mise en scène Aurélien Richard
Assistante à la chorégraphie Elsa Godard
Assistante à la mise en scène Stéphane Froeliger
Lumières Gilles Richard
Création vidéo Christine Rougemont
assistée de Leslie Pauger
Régisseur plateau Sébastien Bressant
Du 5 au 17 février 2019 à 19h
Le dimanche à 14h30
Studio Marigny
Carré de Marigny
75008 Paris
Réservations 01 76 49 67 12
Tournée en janvier 2020
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