© Jean-Louis Fernandez
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Un voile bleu pend, haut sur le mur du fond de scène, et la lumière marine qui sourd du dehors à travers les deux fenêtres ainsi escamotées, telles des hublots, n’aura jamais aussi bien éclairé le nom de ce lieu : Théâtre de l’Aquarium. La vie brève, ensemble fondé par Jeanne Candel en 2009, le dirige depuis 2019. De l’aquarium à la fusée, il n’y a qu’un pas de tir : apesanteur et scaphandrier dans les deux cas sont du voyage. Ce Fusées, de et avec Vladislav Galard, Sarah Le Picard, Jan Peters et Claudine Simon, mis en scène par Jeanne Candel, disons-le tout de go, sans attendre le compte à rebours, nous aura mis le cœur en joie et en feu. Spectacle tout public, lointainement inspiré d’un film documentaire des années 1990 (Out of the present d’Andrej Ujika), Fusées nous embarque dans le plus simple des appareils narratifs : deux hommes, leur fusée défaillante, ne peuvent plus revenir sur Terre. Perdus dans le cosmos. L’ambition démesurée du récit est ici inversement proportionnelle aux moyens dont dispose le théâtre quand il doit faire avec les moyens économes du bord, exclusivement humains, sans l’once d’une technologie. C’est de ce raccourci entre une onomatopée, un geste d’acteur, et la conquête spatiale, dans ce grand écart entre infime et infini, que jaillit le rire, comme si Fusées, dans son aventure extraordinaire, nous ramenait l’air de rien à l’ordinaire fabuleux du vivre, à ce terrain de jeux et d’expérimentations abordé dès l’enfance, bâtissant ses châteaux de cartes ou de sable, capables d’accueillir en son sein l’architecture illimitée du monde. La méthode scientifique qui fait le décorum est d’abord celle de nos premières émotions, vives et délicates à la fois, que nous recouvrons comme au premier jour. Fusées revient aux fondamentaux, à l’enfance de l’art, celui du castelet, dont la perspective optique se concentre dans une tête d’épingle, mais ouvre ce même regard à l’univers par la puissance imaginaire. Le spectaculaire, enfin (c’est un soulagement au regard des productions actuelles), n’est plus dans cet excès, ce toujours plus, cette surenchère valorisée par une industrie culturelle qui a perdu le sens des rapports, non, ici c’est le moins disant qui se fait le plus enchanteur : on joue des coudes au piano, on plane en apesanteur sur un misérable tabouret à roulettes, on « bipe » le début d’un message, on erre sur un plateau vide comme des égarés dans le cosmos.
Jeanne Candel et sa joyeuse équipe nouent avec cette proposition plusieurs liens essentiels. D’abord celui des générations entre jeune et adulte, ce qui est la moindre des choses pour un spectacle tout public, mais quelque chose de bien plus rare se joue encore dramaturgiquement par ce pont d’une incroyable finesse entre l’aventure que constitue l’épopée spatiale, ses développements scientifiques, poussés par cet inextinguible désir de connaître l’inconnu et cette autre aventure qui est celle de l’enfance, où tout est encore à apprendre de la vie et du monde. Avec cet art de la représentation qui fait son miel de l’entrechoquement burlesque des signifiés et des signifiants, avec cette inventivité du jeu et du bricolage théâtral pour rhabiller à peu de frais mais avec un vrai sourire le règne des inventions technologiques, Jeanne Candel relie poétiquement la technicité humaine, qui est aussi, à force et à présent, déperdition de l’humain par la démultiplication de ses prolongements machiniques, aux jeux de mains, jeux de vilains, capables de faire passer des vessies pour des lanternes. C’est un retour à l’origine que signe ce spectacle. Fusées n’affirme-t-il pas son voyage autant vers l’avenir que vers le passé ? Au début de ce monde, nous dit Jeanne Candel, il y a le théâtre et la musique. Choses gratuites de peu d’effet, lui répondrait un énarque technocrate, mais elles sont bien essentielles à la marche de l’humanité, et elles se manifestent dans toute leur puissance protéiforme sur le plateau au vide sidéral. Les planètes font leur révolution sur un tourne-disque, et la jubilation nous met en orbite.
© Jean-Louis Fernandez
Fusées, mise en scène de Jeanne Candel
De et avec (au Théâtre de l’Aquarium) : Vladislav Galard, Sarah Le Picard, Jan Peters et Claudine Simon
Avec (en tournée) : Margot Alexandre, Jan Peters, Marc Plas et Claudine Simon
Scénographie : Jeanne Candel
Régie générale et construction petit théâtre : Sarah Jacquemot-Fiumani
Peinture toiles : Marine Dillard et Blandine Leloup
Peinture petit théâtre : Marie Maresca
Lumières et régie générale : Vincent Perhirin
Costumes : Constant Chiassai-Polin assisté de Sarah Barzic
Assistanat mise en scène : Marion Bois
Regard extérieur en tournée : Juliette Navis
Durée approximative : 50 minutes
Du 13 au 15 septembre 2024
Théâtre de l’Aquarium – la vie brève
2, route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
www.theatredelaquarium.net
Tél : 01 43 74 72 74
En tournée :
Du 6 au 9 novembre 2024
Théâtre de La Commune d’Aubervilliers
Du 18 au 21 décembre 2024
Théâtre Garonne à Toulouse
Les 9 et 10 janvier 2025
Malraux, Scène nationale Chambéry – Savoie
Les 30 et 31 janvier 2025
Théâtre du Bois de l’Aune à Aix-en-Provence
Du 5 au 7 février 2025
Bonlieu, Scène nationale d’Annecy
Du 12 au 15 février 2025
T2G, Gennevilliers
comment closed