ƒƒƒ article de Denis Sanglard

© Jean-Louis Fernadez

L’art de la fugue appliqué au théâtre. Soit quelques voix indépendantes formant un ensemble se poursuivant l’une l’autre… Dans ce paradis blanc devenu un enfer, le pôle sud, cinq personnages, scientifiques à la recherche d’un lac souterrain, drôles d’olibrius à vrai dire, tentent de combler l’ennui qui les gagne, une neurasthénie devant cette immensité blanche sans relief où même les manchots ont des comportements étranges. Une fugue en avant si l’on peut dire où chacun s’évade à sa façon, chasse le phoque détesté, expose le fruit théorique de ses recherches, rêve de papillons au Brésil ou converse avec les morts, chercheurs disparus dans l’immensité de la calotte glaciaire. Dans cette base avancée la frustration, les manques insatisfaits, la promiscuité des corps font fondre bientôt toute réserve. La folie envahit doucement ce blanc no man’s land. La réserve et la rigueur scientifique cèdent le pas, s’effondrent sous le poids des congères et des congénères. Les comportements dans cet univers confinés se révèlent explosifs et implosent. Il n’y a pas que la glace qui craque. Et quand les mots ne suffisent plus, quand les sentiments s’épuisent ou se cristallisent, on chante, seul ou en choeur, on joue d’un instrument. Et c’est toute l’originalité de cette création. Un spectacle musical qui ne soit pas une simple alternance, un enchaînement de morceaux, baroques le plus souvent, et de jeu. La musique, l’art de la fugue,  est un contre-point qui ouvre soudain dans cette folie latente qui règne sur le plateau immaculé des espaces insoupçonnés. Quand les mots sont soudain impuissants, quand le rêve succède à la réalité. Seuls instants où les corps et les personnages sont enfin accordés, comme on accorde un instrument. Intermèdes (en)chantés dans lesquels les personnages soudain se posent mais également reflets de leurs humeurs variables, échaudés dans cet enfer glacé. La fugue c’est sans doute ça, être ensemble séparément. Ce que résume cette création très drôle, bourrée de trouvailles incongrues, de détails saugrenus, de situations loufoques et cocasses, qui commence pianissimo avant d’aller crescendo. Jusqu’à l’absurde. Ce boeuf sur le toit du monde, cet intermède musical et théâtral dans un pole sud propre à tous les fantasmes, cette fugue déglinguée et pourtant si rigoureuse dans sa structure, outre d’exposer les inconvénients du froid sur les esprits les plus, à priori, cartésiens et rigoureux offre en ces temps chagrins un très beau moment de réchauffement zygomatique.

Fugue
Mise en scène par Samuel Achache
Direction musicale Florent Hubert
Collaboration artistique Sarah Le Picard
Scénographie Lisa Navarro et François Gaultier-Lafaye
Lumières Vyara Stefanova et Maël Fabre
Costumes Pauline Kieffer
Arrangements musicaux collectifs
Avec Samuel Achache, Vladislav Galard, Ane-Lise Heimburger, Florent Hubert, Léo-Antonin Lutinier, Thibault Perriard

du 5 au 24 janvier 2016
les mardis, mercredis, vendredis et samedis à 20h30
matinées les dimanches à 16h

Théâtre des Bouffes du Nord
37(bis) boulevard de la Chapelle
75010 Paris
réservations: 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com

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