ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Quatre cloisons blanches, disposées et amovibles comme un jeu de lego. Déplacées ponctuellement, elles entrelacent la chorégraphie de Noé Soulier, définissant de nouveaux espaces géométriques, et surtout, telles des paravents, oblitèrent des volumes, occultent des mouvements, escamotent des danseurs, créent un manque : questionnent le regard du spectateur. Noé Soulier élargit au public la proposition de recherche faite à ses danseurs : travailler à convoquer subtilement cet état de corps du premier âge, cette mémoire infantile, cette conscience des premiers temps tronquant une partie du monde pour se concentrer sur une partie du corps.
Les corps des sept danseurs sont pluriels, singuliers, c’est une évidence de le dire, mais c’est comme si la piste empruntée par Noé Soulier conviait chacun à se révéler un peu plus, dressant en filigrane le portrait de l’enfant qu’il fut. Le corps se fait palimpseste, c’est un réceptacle du temps perdu. Fondu dans un enchaînement complexe de mouvements, un poirier, tête en bas, dans le jardin de l’enfance, s’écroule, aussi fulgurant qu’une réminiscence pour le grand gaillard qui l’effectue (Lucas Bassereau).
Ils dansent comme des flèches tirées d’un arc : ramassés, contenus, puis détente donnant tout son envol à la projection du mouvement. Un lâcher prise qui se saisit de sa puissance originelle, tel un ressort. Dans les lumières aiguisant les clairs-obscurs, effeuillant les contrejours, dans la musique nerveuse et trouée de silence de Karl Naegelen interprété par l’ensemble Ictus, les danses ont l’affutage de l’archaïque ; virtuoses, les gestes sont rapides, les duos ont la tension des arts martiaux. La performance de chacun crée des corps beaucoup plus grands qu’ils ne sont réellement, projection de soi infinie dans le monde limité de nos perceptions. Rondes ritournelles répétant leur boucle de gestes comme une exploration, comme un vade-mecum à l’usage du nouveau monde. Rarement danse aura été aussi centrée dans le corps de ses danseurs et paradoxalement ouverte à l’espace le recomposant en permanence. De nouveaux équilibres s’instituent, de nouveaux appuis, redéployant dans les volumes l’ossature de l’être physique dans des articulations recouvrées. Il y a indéniablement dans cette recherche une parenté méthodologique avec le butō, se nourrissant de fibres mémorielles enfouies sous les strates socialement normées du corps adulte. Ainsi de cette séquence où Nangaline Gomis dont la position pyramidale égalise le rôle des pieds et des mains en tant qu’appui, le regard instruisant l’espace tête en bas, reformule le rapport avec les dimensions spatiales, haut, bas, devant, derrière, dans une investigation qui nous embarque, spectateur, dans notre propre quête corporelle. Lorsque la chorégraphie s’écrit à plusieurs, dans l’agencement des corps, les membres se disloquent ; dans la féconde confusion des extrémités, l’appartenance se fait moins prégnante et produit de surprenantes figures chimériques. Creusant les muscles, tordant les os, Noé Soulier fait œuvre d’archéologie et dans la nuit révolue de nos enfances retrouve ces gestes perdus, comme les moules brisés dans lesquels se fondirent et se formèrent nos propres corps.
First Memory, conception et chorégraphie de Noé Soulier
Avec : Stephanie Amurao, Lucas Bassereau, Julie Charbonnier, Adriano Coletta, Meleat Fredriksson, Yumiko Funaya, Nangaline Gomis
Scénographie : Thea Djordjadze
Lumières : Victor Burel
Musique : Karl Naegelen, créée et enregistrée par l’ensemble Ictus (Tom de Cock (percussions), Pieter Lenaerts (contrebasse), Aisha Orazbayeva (violon), Tom Pauwels (guitare), Jean-Luc Plouvier (piano), Paolo Vignorelli (flûte)
Régie lumière : Benjamin Aymard
Régie son : Alain Cherouvrier
Durée : 1 h 15 minutes
Du mercredi 16 au samedi 19 novembre 2022 à 20 h
Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou
75004 Paris
Réservation :
Tél : +33 (0) 1 44 78 12 33
https://www.centrepompidou.fr/
En tournée :
21 janvier 2023 : Theater Freiburg – Freiburg (DE)
9 février 2023 : Scène Nationale d’Orléans – Orléans (FR)
15-16 février 2023 : Festival ICI & LA avec la Place de la danse CDCN, Théâtre de la Cité, CDN Toulouse-Occitanie – Toulouse (FR)
2 mars 2023 : Festival Schouwburg Kortrijk – Courtrai (BE)
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