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Fin de partie, de Samuel Beckett, mis en scène par Jacques Osinski, Théâtre des Halles, Festival d’Avignon Off

Juil 22, 2022 | Commentaires fermés sur Fin de partie, de Samuel Beckett, mis en scène par Jacques Osinski, Théâtre des Halles, Festival d’Avignon Off

 

© Pierre Grosbois

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Les festivaliers ont de la chance. Des grandes mises en scène dans le In aux grands comédiens dans le Off, ils n’ont que l’embarras du choix. Et dans cette offre pléthorique, encore cette année, de plus de 1500 spectacles où tout ne se vaut évidemment pas, pouvoir passer de Jacques Bonnafé (dans Frontalier au Théâtre du Balcon) à Denis Lavant et Frédéric Leidgens est un luxe inouï pour tout amateur de théâtre.

Avec Fin de Partie, Jacques Osinski et Denis Lavant en sont à leur quatrième collaboration autour de Beckett. C’est toujours fascinant pour un spectateur d’être émerveillé devant un grand texte déjà joué tant de fois, tout comme il doit être intimidant pour un metteur en scène et un comédien de s’engager sur ces terrains tant labourés (y compris récemment et talentueusement s’agissant de Fin de Partie à l’Opéra avec la partition de György Kurtág) afin d’atteindre le juste équilibre du texte et apporter sa petite pierre à la solidité de ce monument littéraire.

Autant le dire d’emblée, l’équilibre et la perfection sont atteintes, aussi bien dans le respect du texte, que le jeu des comédiens et la mise en scène, laquelle commence très bien, c’est-à-dire par un noir total et silencieux, durant un temps suffisant pour le recueillement qui devrait précéder chaque spectacle. L’obscurité et le silence qui permettent de marquer l’attente du moment théâtral, sont aujourd’hui si peu pratiqués ou respectés, tant par les metteurs en scène (parfois sous pression des directeurs de salles notamment à Avignon où l’enchaînement des spectacles est une vraie contrainte) que par les spectateurs qui ont du mal à lâcher leurs portables ou faire cesser leur conversation, qu’on ne peut que s’en réjouir à chaque fois qu’il est pratiqué.

La pièce commence avec un plateau très éclairé qui est affublé de trois cloisons très hautes avec des fenêtres au sommet représentant les trois murs oppressants du logis de Hamm. Les deux tonneaux sont collés au mur du fond recouverts d’un drap, tout comme la chaise sous laquelle Hamm est assis, dans le respect des didascalies de Beckett.

L’histoire, si tant est que l’on puisse dire que Fin de partie raconte une histoire, on la connaît et elle peut se résumer à la première réplique de Clov : « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. » Ça met deux heures à finir et on en redemanderait presque, rien que pour la qualité de jeu des comédiens.

On pourrait se borner à citer leurs noms puisque leurs seuls patronymes suffisent à indiquer l’excellence de la distribution. Peter Bonk et Claudine Delvaux forment remarquablement le couple toujours étonnant de Nagg et Nell, dans leurs tonneaux. Et puis, le metteur en scène a eu l’idée géniale de réunir Denis Lavant et Frédéric Leidgens, deux monstres du théâtre, ce qui fera entrer ce nouveau binôme beckettien légendaire de Hamm et Clov dans le palmarès des grands Fin de Partie. Denis Lavant campe un Clov brinquebalant à souhait. Les bras servent littéralement de balancier à ce bas du corps partiellement raide et à contrebalancer le poids du corps constamment vacillant, le haut du dos légèrement voûté, la tête penchée, le regard fixe. N’importe quel autre comédien dans cette gestuelle poussée à l’extrême, notamment dans le comique de répétition avec l’échelle, aurait été ridicule ; Denis Lavant, dont la formation initiale au mime Marceau n’est pas étrangère à la précision de ses positions statiques, donne une nouvelle étoffe à ce personnage improbable, dont la « débilité » apparente n’est qu’une forme de lucidité. Frédéric Leidgens est un Hamm magistral, à la diction d’une exactitude absolue. Il faut l’entendre prononcer les mots « Noël », « os », « grâce » et tous les passés simples… Du miel… Sa gestuelle nécessairement réduite par son immobilisme dans la chaise roulante est millimétrée et contraste idéalement avec la brusquerie et la précipitation de son partenaire. Une langue qui passe sur les lèvres, un doigt levé, le couvre-chef réajusté sur sa tête, s’enchaînent dans une chorégraphie naturellement parfaite.

L’étrange relation qui lie Clov à Hamm, ce dernier qualifiant le premier de fils adoptif, qui est autant son souffre-douleur et esclave que son complice, s’exprime à merveille dans ce duo. « C’est étrange de se sentir à la fois fort et au bord du gouffre » écrivait Beckett à sa femme quand il rédigeait Fin de Partie. C’est évidemment la sensation dans laquelle plonge ce texte à chaque fois qu’on le redécouvre.

 

© Pierre Grosbois

Fin de Partie, de Samuel Beckett

Mise en scène : Jacques Osinski

Scénographie : Yann Chapotel

Costumes : Hélène Kritikos

Régie : Gildas Le Boulaire

Avec : Denis Lavant, Frédéric Leidgens, Peter Bonke, Claudine Delvaux

 

Durée 1 h 45

Jusqu’au 28 juillet (relâche le 27)

16 h

 

 

Théâtre des Halles

22 rue du Roi René

84 000 Avignon

Réservations : 04 32 76 24 51

 

Tournée en 2022-2023 : 

Théâtre de l’Atelier à Paris du 19 janvier au 26 février 2023

Théâtre Liberté à Toulon les 12 et 13 avril 2023

 

 

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