À l'affiche, Critiques // Fille du Paradis, d’après Putain de Nelly Arcan, mise en scène de Ahmed Madani, au Théâtre de Belleville

Fille du Paradis, d’après Putain de Nelly Arcan, mise en scène de Ahmed Madani, au Théâtre de Belleville

Déc 19, 2016 | Commentaires fermés sur Fille du Paradis, d’après Putain de Nelly Arcan, mise en scène de Ahmed Madani, au Théâtre de Belleville

ƒƒ Article de Victoria Fourel

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© François-Louis Athénas

Elle s’appelle Cynthia. Ou plutôt non, elle a choisi ce nom pour faire carrière. Escort girl. Elle a composé le numéro de la plus grande agence de Montréal, comme attirée par l’ombre, par le mal, peut-être ? Elle est à la fois femme de pouvoir et dépendante, elle est putain.

Il y a plusieurs couches dans ce récit à charge. Tout d’abord, la comédienne ne commence pas, elle attaque, toutes lumières allumées. Notice biographique, humour, avec un certain accent citadin, sensuelle, agaçante. Elle raconte son passage de la salle de cours à la salle du bar. Puis, au fur et à mesure, les coutures lâchent, les traits changent, l’usure du corps et de l’esprit apparait, le regard tranchant, aussi. Elle parle tour à tour de ce qui bride la femme, ce qu’elle s’inflige, et pourquoi. Les autres femmes, les attentes, la date de péremption du corps des femmes, étrangement inconnue au sexe masculin. Et une idée nous brusque, notamment. Les hommes qui n’aimeraient pas imaginer leur fille en putain sont les mêmes qui, dans leur rue, érotisent les gamines et leurs jupes aussi courtes que leurs vies. Ce spectacle ne parle pas de légèreté, mais bien de liberté. Le plus vieux métier du monde peut être perçu comme gage de liberté, parce que si l’on tient l’être humain par sa sexualité, on le tient tout entier. Mais c’est ici beaucoup plus. Une description violente de l’inconscience du client, de son hypocrisie. Et dans un déluge de mots crus, on entend d’où vient cette inconscience qu’on prend pour du mépris, et la haine des femmes contre ceux qu’elles voient bourreaux. Un certain regard qui empêche parfois un peu la respiration, car tant de contenu ne laisse pas forcément la place à du silence ou du jeu hors du texte. Mais c’est aussi un regard peu commun sur les escortes, fortes car objets de désir par choix et non par obligation, mais en questionnement perpétuel : est-ce pour autant ça, être libre ?

Dans la forme, j’ai d’abord été peu séduite. Un seul(e) en scène sur un thème si fort doit nous faire décoller, nous construire des images vite, et bien. C’est lorsqu’est creusé le sujet que l’on entrevoit une vraie maestria dans la scénographie : la lumière est très belle, et les panneaux noirs, sobre fond de scène, deviennent miroir de la silhouette de Cynthia, que tantôt on devine, tantôt on observe. Comme dans un labyrinthe, dans une boîte, la comédienne a plusieurs visages, en fonction de ce que l’on veut nous montrer d’elle. La comédienne justement, Véronique Sacri, séduit par une technique que la direction d’acteurs a su mettre à jour : vous la pensiez légère, transparente ? Attendez, et vous allez la voir, exulter le modèle de la femme parfaite, le transpirer, le crier. Vous allez écouter d’où elle vient, et ce que le monde dit d’elle. La plus grande difficultée d’un tel pari, c’est bien sûr qu’il y a beaucoup à dire. D’ailleurs, la note d’intention ne se contente pas d’évoquer la prostitution ou même la femme érotisée dans notre société, mais aussi sa place dans la religion, ou encore l’actualité brûlante qui ne manque jamais une occasion de grignoter les droits des femmes.

Difficile d’être sensible à tout, et en peu de temps. A l’humour d’un métier où l’on mène les hommes, à la colère, à la psychologie, aux transitions musicales systématiques, au texte asséné, fragment par fragment. Mais c’est plus tard, après digestion, que la fille du paradis se rappelle à nous. Nous sommes coupables de la création de ce corps périssable, nous, hommes et femmes. On pourrait étirer davantage, imager et dessiner autour du sujet, pour en faire sortir encore plus de théâtre. Mais le cri est nécessaire, il est évident, vive le cri.

 

 

Fille du Paradis
D’après Nelly Arcan
Adaptation et mise en scène Ahmed Madani
Avec Véronique Sacri

Du 14 au 18 décembre 2016
Du mercredi au samedi à 19h15, le dimanche à 15h.

Théâtre de Belleville
94 rue du Faubourg du Temple 75011 Paris
Métro Belleville ou Goncourt
Réservation 01 48 06 72 34
www.theatredebelleville.com

 

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